Annéa - Les légendes des Terres Oubliées, Chapitre 1
- JuliaRJ
- 14 sept. 2018
- 63 min de lecture
Bonjour à toutes et à tous, cela fait quelques temps que je n'ai pas plus posté d'article, mais aujourd'hui je vous propose en exclusivité le premier chapitre du Tome III d'Annéa !
J'espère que ce début vous donnera envie d'en lire davantage, et je vous remets le lien ici > https://www.lulu.com/shop/search.ep?keyWords=julia+rebert+ann%C3%A9a&type= pour commander vos exemplaires au format papier ou e-books.
A bientôt,
Julia R.
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Annéa - Les légendes des Terres Oubliées
Prologue
La voiture grise empruntait un chemin sinueux depuis de longues minutes déjà. Elle roulait doucement, mais la poussière sur le sol sec formait un épais nuage sur son passage. Des pins déjà centenaires, bordaient le chemin qui serpentait vers les falaises. Le soleil se reflétait dans l’Océan si proche, tels des milliers de diamants précieux se trouvant à sa surface. Il n’y avait rien susceptible de gâcher un pareil moment, rien hormis la voix monocorde et sans vie du GPS placé sur le pare-brise. « Nouveau calcul de la route. » répétait-elle inlassablement avant que la jeune femme se trouvant au volant ne soupire d’exaspération et ne l’éteigne une bonne fois pour toute. Elle emprunta encore quelques minutes le chemin avant de s’arrêter sous le coup de la surprise, fixant de son regard aussi bleu que l'Océan, la bâtisse imposante devant laquelle elle se trouvait. - C’est impossible, murmura la jeune femme, j’ai dû faire une erreur. Elle la contempla encore quelques instants de ses yeux ébahis avant de prendre un dossier qui se trouvait sur le siège passager. Elle le lut rapidement en diagonale. Cette copie d’acte notarial la désignait comme propriétaire des lieux, jusqu’à la plus petite pierre et même herbe folle. Elle, qui avait vécu son enfance et son adolescence à être ballottée d’une famille d’accueil à une autre, sans jamais ne posséder plus qu’une valise brune dans laquelle se résumait toute sa vie, aujourd’hui par n’importe quel miracle invraisemblable, elle possédait une demeure, un château au bord de l’Océan. Elle reprit ses esprits et emprunta le chemin la menant directement au centre d’une cour. Des murs c’étaient effondrés par endroits, laissant simplement leurs pierres giser à terre, des planches en bois épais encombraient les ouvertures, des ronces et des orties poussaient le long des murs clairs. La jeune femme arrêta la voiture et en sortit timidement, se demandant si elle avait le droit de se trouver à cet endroit. Elle fit un tour sur elle-même, laissant ses longs cheveux blonds s’envoler au doux souffle du vent. Elle avait le sentiment de fouler le sol d’une terre sacrée. Et pourtant, elle se sentait en paix et sereine, comme si, elle revenait d’un très long voyage, comme si elle rentrait enfin chez elle après des années d’errance. Et elle n’avait qu’une hâte : découvrir par elle-même chaque recoin et apprendre chaque secret de l’immense demeure. Elle se glissa dans la voiture à nouveau et se saisit d’une lampe torche se trouvant dans sa boîte à gants, puis elle se dirigea vers le bâtiment pour trouver un moyen d’y entrer. Elle le fit enfin, bien plus d’une heure plus tard, trouvant une petite porte en bois sans prétention, dissimulée par du lierre. Elle dut la pousser à plusieurs reprises pour enfin pouvoir se glisser à l’intérieur du bâtiment. Une fois entrée, elle alluma aussitôt sa lampe torche car la pièce était sombre et encombrée de meubles en bois. Elle constata qu’elle devait se trouver dans une petite cuisine autrefois fréquentée par les serviteurs du château. Elle en fit le tour en un regard avant d’emprunter une autre petite porte, s’enfonçant ainsi un peu plus dans les entrailles de la bâtisse. Les pièces se succédaient les unes après les autres, toutes plus grandes, plus ornées ou au contraire, plus intimes et secrètes. La jeune femme voulait tout voir et tout connaître dans les moindres détails et elle ne savait plus où donner de la tête. Mais elle avait le sentiment d’être pressée par le temps, que tout ceci ne soit qu’un rêve et que son réveil n’en serait encore plus douloureux.
Les faibles rayons de lumière venant de l’extérieur et se glissant entre les planches mal ajustées aux fenêtres, lui permettaient de voir des pièces préservées du temps et des pillages. Une épaisse couche de poussière recouvrait le sol et les meubles en bois, les tapisseries des murs avaient perdu de leurs éclats mais semblaient encore en assez bon état, les lustres suspendus bien des mètres plus haut gardaient encore leurs bougies à peine consumées. La jeune femme se demanda un instant comment tout cela fut bien été possible. La demeure semblait simplement dormir tranquillement, attendant que ses propriétaires ne rentrent pour l’habiter à nouveau. Mais les meubles auraient dû être volés, vendus, réduis en bois de chauffage, les toitures auraient dû souffrir davantage des intempéries, les herbes folles à l’extérieur auraient dû tout engloutir et des animaux auraient investis les lieux. La jeune femme arriva dans un hall grandiose, sans doute autrefois l’entrée officielle du château. Un escalier imposant l’invitait à découvrir ce qui se trouvait dans les étages supérieurs, les tours, les greniers et le donjon encore droit et fier. N’hésitant qu’un court instant, elle posa son pied sur la première marche, enjambant quelques morceaux de mortier tombé au sol il y a de cela des années déjà. Elle avança plus prudemment, sachant que le sol pouvait se dérober sous ses pieds à n’importe quel instant. Alors qu’elle s’apprêtait à pousser une porte en bois pour voir ce qu’elle cachait, un bruit un peu plus loin attira son attention. Son estomac se noua, son cœur s’accéléra, mais pourtant, elle avança dans sa direction, poussée par le courage, ou la curiosité peut être. Une fois l’angle du couloir passé, et un regard accordé à une toile gigantesque où semblait se trouver représentée une jeune femme dont elle ne distinguait pas les traits, elle vit une forme noire entrer dans une pièce. Ne sachant pas de quel animal il pouvait bien s’agir, elle le suivit, toujours la peur au ventre. Elle se faufila derrière la porte entrouverte, où elle l’avait vu disparaître avant d’ouvrir de grands yeux ébahis. Elle se tenait dans une immense pièce où se trouvaient de grandes tables en bois, des fauteuils confortables, une énorme cheminée imposante, mais aussi et surtout, des étagères remplies de livres. Le plafond était haut, si bien, qu’un chemin de ronde en bois en parcourait toute la périphérie et on y accédait par des escaliers semés aux quatre coins de la pièce. De nombreuses échelles permettaient d’attraper les ouvrages rangés dans les étages les plus hauts. La salle était étonnement claire, même si la majeure partie des ouvertures avaient été bouchées. Une fenêtre tout au sommet des arches en pierre, laissait passer la lumière du jour. L’animal qu’avait vu la jeune femme un peu plus tôt et qui l’avait attiré inconsciemment ici, n’était autre qu’un oiseau majestueux au plumage aussi sombre que la nuit. Elle avança doucement vers lui, mais à peine fit elle un pas dans sa direction qu’il s’envola de son perchoir improvisé, laissant tomber au passage le livre épais sur lequel il s’était posé. Il prit son envol et passa la fenêtre ouverte, s’éloignant dans le ciel azur. La jeune femme le regarda un instant avant de remarquer que l’ouvrage basculait doucement dans le vide. Elle n’eut d’autre réflexe que de vouloir le rattraper pour qu’il ne s’abîme pas au sol. Mais elle n’y parvint pas, et même s’il était nettement écorché par le temps, il s’échoua lourdement à ses pieds, s’ouvrant sur une page jaunie, mais où elle pu lire avec précision les mots marqués à l’encre noire d’une main assurée. « Annéa - Les Légendes des Terres Oubliées »
1. La reine du Ronnan
Le soleil descendait doucement à l’horizon, enflammant le ciel de ses couleurs or, orange et rouge. Quelques nuages moutonnaient au dessus de l’Océan calme. Des oiseaux aux plumages colorés gagnèrent leurs demeures pour la nuit, accompagnant leurs vols de chants mélodieux. Le vent venant du large balayait la forêt, penchant doucement les cimes des arbres comme une caresse invisible et à peine perceptible. Annéa aimait cette heure pour se promener en forêt et sur la plage de sable blanc. Cela faisait trois ans qu’elle avait été couronnée, trois ans qu’elle était la reine du royaume unifié. Depuis trois ans, elle essayait de relever son pays des dépenses et des sacrifices que Thégise et Sianna avaient imposé au peuple tout entier. Depuis trois ans elle tentait de panser les plaies des uns et des autres, les siennes aussi. Elle avait perdu beaucoup d’êtres chers, mais aujourd’hui, elle vivait en paix avec elle-même. Elle avait toutefois besoin de s’éclipser régulièrement du château pour marcher des heures entières avec Bellera. La nature était son havre de paix, loin des tracas que sa position lui incommodait, loin des soucis de son peuple qui néanmoins lui était reconnaissant de jour en jour. Trois ans, cela était peu pour reconstruire tout un royaume et lui redonner son éclat d’antan mais elle avait œuvré chaque jour.
Ce jour là, la jeune femme avait décidé de ramasser quelques herbes en forêt, afin de préparer une décoction dès son retour au château le soir même. Bellera se trouvait quelques mètres plus loin, avec, sur son flanc, l’épée de la reine qu’elle emportait bien souvent avec elle, sous les conseils avisés de Gedelius. Même si elle n’en voyait plus un réel intérêt aujourd’hui, elle se contentait de lui obéir sagement, préférant ne pas tirer un trait sur ses petites escapades. Elenas s’assurait de sa protection personnelle depuis qu’il était chevalier et lui aussi préférait qu’elle garde toujours une arme sur elle pour se défendre. Alors, la jeune femme l’avait une fois de plus accroché à sa selle avant de quitter l’enceinte du château au galop. Elle l’avait fait de nombreuses minutes plus tôt, vêtue d’un pantalon d’homme en toile, de chaussures lui montant jusque sur les chevilles et d’une chemise légère sur laquelle elle avait passé un corset en cuir brun. Ses cheveux parfaitement attachés en une longue natte dans son dos, tourbillonnaient au souffle du vent. Elle ne ressemblait en rien à une reine dans cet habillement, mais tous la connaissaient et il lui était plus simple de marcher entre les racines tortueuses et de grimper aux branches des arbres centenaires de cette manière.
Concentrée à sa tâche, une dague dont elle ne se séparait jamais à la main, Annéa coupait l’une ou l’autre racine qu’elle rangeait aussitôt dans sa besace reposant sur sa taille. Lorsqu’elle s’apprêta à se relever pour poursuivre sa cueillette, un craquement de branche attira son attention. Elle fronça les sourcils et se retourna un instant, regardant les environs qui demeuraient pourtant calmes. Replaçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille droite, elle se leva et s’approcha d’une autre herbe qu’elle coupa d’un geste vif. Un autre bruissement lui mit en tête qu’elle devait être observée. Ne sachant pas qui était là, et pour quelle raison s’en était le cas, elle fit mine de ne rien avoir entendu et se concentra pour savoir qui venait troubler sa tranquillité. Elle ferma les yeux, restant ainsi attentive à tout ce qui pouvait lui parvenir aux oreilles et aux narines. Il y avait deux hommes tapis dans les fourrés ne sachant pas comment agir face à cette femme, cette reine, cette combattante qu’ils avaient vu à l’œuvre. Ils avaient appris au château que la jeune femme était sortie et qu’elle se trouvait en forêt. Ils l’avaient cherché pendant des heures avant d’enfin la trouver, à genoux au sol, remplissant le sac en toile d’herbes et de fleurs. Le premier voulut avancer vers elle et se présenter, comme le voulait la coutume, mais le second le retint par le bras pour l'en empêcher. - Il est préférable que j’y aille par moi-même, murmura-t-il en plaçant sa capuche sur sa tête. - Mais, comment expliqueriez-vous que… - Je devrai le faire d’une manière ou d’une autre, attends moi ici. - Bien, acquiesça son compagnon, mais s’il se passe quoi que se soit, je bondirai vers vous dans la seconde, je suis là pour vous protéger, ne l’oubliez pas. - Je ne l’oublie pas et je t’en serai toujours reconnaissant, mais certaines choses doivent être faites comme bon me semble et en personne. Ne crains rien, elle ne me tuera pas, nous sommes amis, ajouta-t-il en lui faisant un clin d’œil. - Vous le disiez également en ce qui concerne d’autres de vos amis. - Je peux avoir confiance en elle, murmura-t-il avant de se lever et de faire un pas vers la jeune femme se trouvant toujours de dos. - Ne faites pas un pas de plus sans retirer votre épée, lança Annéa avec calme mais d’une voix forte. Il rit doucement mais continua d’avancer vers la jeune femme en silence. - Ne m’avez-vous pas entendu ? reprit la jeune femme. Je pourrais vous tuer dans la seconde si je vous sens menaçant et là, en ce moment je me sens menacée. - Vous n’en avez pas l’air, et votre épée se trouve bien des mètres plus loin que pourriez-vous me faire ? - Tout le monde sait que je n’en ai pas besoin, dit-elle en souriant, ce qui me porte à croire que vous ne venez pas d’ici ou que vous êtes bien trop arrogant pour en tenir compte. - Je vous trouve bien trop sûre de vous, répondit l’homme à peine plus fort qu’un murmure. - Posez votre arme et nous pourrons en discuter. Quelque soit la raison de votre venue, je suis prête à vous entendre. - Bien, admit-il en laissant tomber son épée au sol, et a présent, auriez-vous l’obligeance de bien vouloir me regarder ma reine ? - Que me voulez-vous, pour venir troubler ma tranquillité sans aucune retenue et oser me dire ce que je dois faire ? - Il me faut m’entretenir avec vous pour une affaire importante. - Pourquoi ne pas avoir demandé une audience ? dit-elle en se retournant enfin. Elle se figea sur place en croisant le regard de l’homme qui se trouvait à quelques mètres d’elle, enroulé dans une longue cape sombre, protégeant son visage par une large capuche. Même ainsi vêtu elle le reconnut immédiatement sans aucune hésitation. - Car la situation est délicate et que je dois m’entretenir avec une amie et non avec une reine, murmura-t-il sans la quitter des yeux. - Kieran, soupira-t-elle avec surprise, que faites vous ici ? lança Annéa en parcourant les derniers mètres qui la séparaient de lui. Il l’accueillit chaleureusement dans ses bras quelques secondes, avant de lui sourire tendrement en s’éloignant. Il déposa un baiser sur sa main et Annéa lui accorda un mouvement de tête. - Je suis heureux de vous revoir. - Moi aussi, mais où se trouve votre escorte ? Et pourquoi ne pas m’avoir averti de votre arrivée ? - Je suis ici sous le sceau du secret. - Tout cela ne me dit rien qui vaille, répondit Annéa en s’éloignant. - Je vais tout vous expliquer, mais cela risque d’être long. - Il vaudrait mieux alors dire à votre compagnon de sortir du fourré, il ne craint rien. - Comment savez-vous que je suis accompagné ? - Vous empestez tous les deux, lança Annéa en riant, pour vous je dirais le cheval, lui ce serait plutôt le bouc, deux odeurs bien distinctes mais toutes aussi insupportables. Je pourrais vous sentir à plusieurs lieux. Depuis combien de jours ne vous êtes vous pas lavés? - Si nous sentions si forts, vous nous auriez remarqué depuis longtemps, pourtant cela ne semble pas être le cas. - Dites à votre ami de nous rejoindre, ajouta-t-elle en rejoignant la jument qui se trouvait plus loin ne voulant ainsi pas lui avouer qu’elle l’avait remarqué bien longtemps avant qu’il ne le croit. Celui-ci ramassa son épée et la fixa à sa ceinture à nouveau, puis, il se retourna vers le buisson où se trouvait son ami et tous deux rejoignirent la jeune femme qui avançait déjà vers eux. L’homme s’inclina, mettant un genou à terre avant que la jeune femme ne lui demande de se relever. - Lieutenant, dit-elle en souriant reconnaissant une vieille connaissance. - Madame, je suis honoré de vous revoir. - Il en est de même pour moi. - Egendall est désormais le premier Lieutenant de mon armée, intervint Kieran, et il fait partie de ma garde personnelle. - Je crois me souvenir que celui qui tenait votre place au sein du royaume avant vous a dû la laisser à contre cœur. - Je ne peux pas me consacrer à ma nouvelle fonction sinon, répondit Kieran à la place de son bras droit. - Et c’est pour cette raison que vous venez me rendre visite de manière anonyme ? Je crois que vous allez devoir me donner des explications. Rentrons au château et… - Non, coupa le jeune homme, je préférerais vous parler ici, entre nous, je n’ai confiance qu’en vous aujourd’hui. - Kieran, vous êtes le bienvenu dans mon pays et dans ma demeure, personne ne vous veut du mal en Ronnan. - Je n’en doute pas une seule seconde, je crains juste que des oreilles indiscrètes n’entendent ce que j’ai besoin de vous confier. - Très bien, admit la jeune femme, dans ce cas, faisons quelques pas si vous voulez bien. Elle se débarrassa de son sac qu’elle accrocha sur le flanc gauche de la jument, puis elle glissa sa dague dans ca ceinture. - Egendall, reste ici, lança le roi à son compagnon, je ne peux pas être plus en sécurité qu'auprès de la reine du Ronnan. - Bien Sir, dit-il en baissant les yeux. Annéa se mit en route et Kieran avança avec elle d’un même pas, s’éloignant doucement de l’homme et de la jument qui attendraient la fin de leur entrevue. Ils firent quelques pas en silence côte à côte pendant plusieurs minutes avant que Annéa ne prenne finalement la parole. - Quand allez-vous vous décider à me parler de la raison de votre venue ici aujourd’hui ? demanda-t-elle d’une voix douce. - Je crois l’avoir fait, répondit Kieran en un murmure. - Vous avez besoin de moi et cela doit rester secret, je crois l’avoir compris, mais pour quelle raison ? - Je ne sais pas comment vous dire cela. - Essayez simplement de dire ce que vous avez sur le cœur, nous nous connaissons bien et nos statuts ne nous ont jamais empêché de nous dire ce que nous ressentions. - Je pensais que venir vous demander de l’aide était sans doute la meilleure des choses à faire, mais à présent que je me trouve face à vous, je comprends que c’était peut être une erreur. Je n’ai pas le droit de vous demander une telle chose, dit-il en soupirant. - Kieran, je ne vous ai jamais vu muet devant quoique se soit. Si vous avez jugé bon de venir me voir pour solliciter mon aide, c’est que vous avez pensé, ne serait-ce que pendant une seule seconde que j’étais capable de vous l’apporter. Je vous ai dit que je serais toujours là pour vous si vous en éprouviez le besoin, quelle amie serais-je si j’en décidais autrement aujourd’hui ? Sachez aussi que je suis assez grande pour prendre mes propres décisions. Dites-moi la raison de votre tourment, et ce que je peux faire pour vous. - C’est très dangereux Annéa, répondit simplement le jeune homme d’une voix grave en croisant enfin son regard. - Je crois connaître ce qu’est le danger aujourd’hui. - En êtes-vous certaine ? demanda Kieran en fronçant les sourcils. - Même si ce n’était pas le cas, je vous dois bien cela pour m’avoir laissé combattre à vos côtés. Nous savons tous les deux que jamais je n’aurai pu retrouver ma place si vous et votre père ne m’aviez pas aidé, peut être aujourd’hui serais-je décédée et nous n’aurions pas cette conversation. - Nous avions des intérêts communs, ne l’oubliez pas. Mais ce problème là, ne concerne que moi. - Kieran, insista Annéa en posant sa main sur la sienne, ne me forcez pas à devoir vous attacher les deux bras et les deux jambes pour vous soutirer cette information. Ils se sourirent et le jeune homme acquiesça. - Je suis persuadé que cela ne vous déplairait pas le moins du monde, dit-il en riant. - Vous me connaissez. Je vous en prie, parlez-moi. - Mon trône est menacé, lâcha Kieran dans un souffle en s’éloignant de son amie. - Comment cela est-il possible ? Dans votre dernière lettre vous m’affirmiez que tout allait pour le mieux, s’étonna Annéa. - C’était encore le cas à l’époque, mais aujourd’hui mon cousin Gordon conteste mon rang. Cet usurpateur et opportuniste exige ma place. Il n’a le droit à rien et s’il croit qu’il peut venir réclamer ce qu’il n’est même pas en droit de prétendre, il va avoir affaire à moi. Seulement, il est influant, et il a su me mettre à dos tous les nobles et certains chevaliers du royaume. Je n’ai d’autre choix que de me plier à ce chantage ridicule. - Kieran, coupa Annéa en fronçant les sourcils, je ne comprends pas ce que vous me dites. Un membre de votre famille veut votre trône, mais comment peut il y prétendre s’il n’est pas le descendant direct du roi Dèce ? - Il est le descendant de mon grand-père. - Éclairez-moi, grimaça le jeune femme. - Celui-ci a eu deux enfants, un légitime et l’autre non. L’aîné fut l’enfant d’une servante à ce qu'on m'a dit et il eu un fils à son tour, Gordon est son unique enfant et il réclame le trône. Il veut retrouver ses terres et son peuple. - Mais si son père ne fut pas reconnu, comment peut-il y prétendre ? - Car tous savent qui il est réellement et même si personne ne s’est posé la question quand à la légitimé de mon père comme souverain, aujourd’hui, ils me contestent moi. - Et que comptez-vous faire ? - Me battre, je refuse d’être chassé de mon royaume comme un voleur. Vous ne pouvez pas imaginer de quoi il est capable, les plus basses ruses et les pires chantages lui sont monnaie courante. - Très bien dans ce cas, en quoi puis-je vous aider ? Vous espérer une armée ? Un sort quelconque ? - Beaucoup plus que cela à dire vrai, répondit le jeune homme alors que les yeux de son amie s’agrandirent encore davantage. - Je vous écoute. - Je connais au combien l’étendue de votre pouvoir et celui de votre peuple. J’ai besoin de vous avant tout pour vérifier ce que dit Gordon, savoir si oui ou non, il me conduit simplement à une mort certaine ou si j’ai un tant soit peu la possibilité de m’en sortir vivant. Il existe une de ces vieilles croyances qui veut que tous les rois de notre lignée doivent affronter un monstre terrifiant vivant sur une des îles du Nord, à la limite du monde des humains. Je crois que son nom est un Waagal. Si le prétendant au trône d’Ivingar sort vainqueur de cet affrontement avec pour preuve une épine dorsale de la créature, il sera reconnu comme roi, ainsi que sa descendance pour des siècles entiers. Mais tous savent aujourd’hui que ce ne sont que des contes pour enfants. Gordon souhaite simplement que je perde la vie durant ce voyage, ou que j’en préfère l’exil. - Ne dévalorisez pas cette légende au simple statut de conte pour enfants, je suis bien placée pour savoir que souvent, la réalité s’en approche. - J’étais venu vérifier cette théorie auprès de vous, car j’étais persuadé que si vous saviez quelque chose vous me le diriez. Je sais qu’en vous je peux avoir confiance, sans me rendre plus ridicule qu’il n’y paraît. Cette légende vous semble bien vraie ? - De nombreuses légendes relatent de tels faits, des humains combattants des créatures dangereuses pour prouver leur courage et leur bravoure. Certains perdent la vie au combat, d’autres en sortent triomphant. - Alors je me dois de partir au plus vite, je dois essayer, tenter ma chance et demander au destin de me venir en aide. Je ne vois aucune autre solution. - Ne serait-ce pas à moi que vous aviez demandé de l’aide ? - Je pensais que peut être grâce à votre magie, la tâche serait plus aisée si Gordon disait vrai, même si je ne le croyais pas. - Et maintenant que vous savez qu’il dit peut être la vérité ? - Je me refuse à ce que vous veniez avec moi. - Kieran, soupira Annéa en regardant le sol, je dois vous dire une chose importante. La créature dont vous semblez me parler est âgée de centaines d’années et si elle est bien celle que je crois, vous n’avez aucune chance de rentrer chez vous avec l’une de ses épine dorsale. - Vous démobiliseriez tout un régiment avec votre pessimisme. - Cela n’a rien à voir avec du pessimisme. J’ai assisté à la mort du dernier être de cette espèce. Il n’en existe plus sur cette terre Kieran, il vous serait impossible d‘accomplir la tâche que l'on vous demande. - Est-ce vous qui l’avez tué ? - Je l’ai affronté, dit-elle en le regardant à nouveau, mais je ne l’ai pas vaincu. - Et vous êtes ici vivante ? s’étonna son ami. Cela prouve qu’une telle épreuve est possible. - J’ai été gravement blessée et inconsciente pendant des semaines. J’en garde une cicatrice qui ne partira jamais et une séquelle bien moins visible. C’est ma mère qui l’a tué et sa carcasse fut brûlée, il n’en reste plus rien, si ce n’est l’une ou l’autre légende. Je suis navrée Kieran. - Alors me voila perdu, soupira le jeune homme en se laissant tomber au sol. Il enfouit son visage dans ses mains et ferma les yeux quelques instants. Annéa le regarda en silence un moment avant de s’accroupir auprès de lui et de poser délicatement une main sur son épaule. Kieran leva les yeux vers la jeune femme qui lui souriait tendrement. - Je vais vous aider. - Comment le pourriez-vous si cette créature n’existe plus ? - Nous trouverons, peut être en reste-t-il encore une de son espèce sans que mon peuple ne le sache. J’ai une dette envers vous et surtout je suis votre amie. Nous irons sur cette île du Nord et si la créature ne s’y trouve plus, nous en trouverons une autre, vous la vaincrez et retrouverez votre trône. Faites-moi confiance et tout ira bien, je le sais. N’oubliez pas que j’ai des ressources que votre cousin ignore. - Oh mais il sait qui vous êtes. Il vous craint même. - Suis-je si effrayante ? lança Annéa en riant. - Pas le moins du monde, murmura Kieran, mais c’est parce qu’il ne vous connait pas aussi bien que moi. - Eh bien, laissons-le croire dans ce cas et agissons. - Pourrez-vous vous extraire de la cour et de vos fonctions pour me venir en aide ? Votre royaume n’est pas en danger, vos conseillers le comprendront ? - Ils me font confiance. - Cela ne fait que peu de temps que vous avez retrouvé votre place, j’ai peur que votre départ ne soit pas le bienvenu et que vous risqueriez de tout perdre. - Ça n’arrivera pas, affirma Annéa en s’asseyant à côté du jeune homme, Gedelius et Elenas veillent personnellement sur moi, mais aussi sur le royaume. J’ai placé des hommes et des femmes de confiance à des postes importants dans tout le pays. L’Enna se suffit presque à lui-même et ses habitants peuvent se mêler à ceux du Ronnan sans crainte, utilisant même leurs pouvoirs pour leur venir en aide si besoin est. Le royaume est en phase de reconstruction avec des habitations plus solides, des routes rejoignant les différentes villes et traversant toutes les contrées. Les nouvelles lois ont été adopté et je ne me fais plus aucun souci quant à leurs applications. Nous commençons à ne plus manquer de nourriture même dans les régions les plus reculées. Bien entendu je vous mentirais si je vous disais que tout était parfait, non loin de là, fort est encore à faire, mais nous sommes sur la bonne voie. Je pense qu’ils pourront se passer de moi quelques temps. - Sachez que je ne cherche en aucun cas à vous attirer des problèmes, insista le jeune homme. - Vous êtes bien étrange, répondit Annéa en riant aux éclats, vous ne voulez pas m’attirer d’ennuis et pourtant, vous venez me solliciter pour une affaire importante et dangereuse, ne croyez vous pas être un homme contradictoire ? - Je ne nierai pas que je peux être un homme étrange pour un bon nombre de personnes, mais reconnaissez vous aussi, que tout quitter pour venir risquer sa vie, n’est pas une action saine d’esprit. - Je l’ai pourtant fait une fois auparavant. - Vous n’aviez pas eu d’autre choix à cette époque, aujourd’hui vous l'avez. - Quitter le compté d’Asgard n’était pas mon choix, fuir pendant des mois à travers tout le pays pour garder la vie sauve, était une nécessité, je vous l’accorde. Mais apprendre à me battre et à utiliser mes pouvoirs, venir vous demander votre aide et conduire mon peuple à la bataille, tout ceci je l’ai voulu. Ma mère souhaitait m’accorder encore plus de temps, j’ai décidé moi et moi seule de faire en sorte d’accélérer les choses. - Votre vie d’avant ne vous manque-t-elle pas ? J’ai cru comprendre que vous étiez heureuse à vivre dans une cabane en bois dans la forêt. - Je l’étais, et parfois en effet, cette vie me manque un peu, soupira Annéa en regardant la cime des arbres. - C’est pour cette raison que vous quittez le château dès que possible pour vous réfugier ici. - Entre autre chose, j’ai trouvé ma place et je ne voudrais la quitter pour rien au monde, avoua la jeune femme, mais il arrive que j’ai besoin d’oublier un peu qui est la reine Annéa pour redevenir Iowy, vous comprenez ? - Je crois, mais j’aimerais savoir avec laquelle des deux je convers à cet instant, répondit Kieran en souriant. - C’est une excellente question, lança Annéa en riant, je n'en connais pas la réponse. - Vous savez Annéa, vous êtes une bonne reine car avant de l’être vous n’étiez pas davantage qu’une jeune fille vivant pauvrement dans une demeure de fortune. Je ne dis pas que cette condition n’est pas louable, ne vous méprenez pas. Mais avec ce que vous avez vécu, vous connaissez le prix de la vie. La personne que vous étiez depuis votre enfance fait de vous celle que vous êtes aujourd’hui. Et l’on vous estime d’autant plus pour cela, vous êtes qui vous êtes, ne cherchez pas en vous une autre réalité que celle-là. - Mais c’est vous qui vouliez savoir avec qui vous vous trouviez. Il ne répondit pas et ils échangèrent un sourire avant que la jeune femme ne regarde à nouveau le ciel se colorer doucement. - Il va être l’heure, murmura-t-elle, avez-vous déjà vu le couché du soleil sur l’Océan du haut d’un arbre centenaire ? - N’est-il pas le même du haut de votre donjon ? - L’avez-vous vu du haut de mon donjon ? demanda la jeune femme en le regardant à nouveau. - Non, admit Kieran en souriant, mais je serai ravi que vous me le montriez. - Il est bien trop tard pour espérer le voir du château aujourd'hui, mais nous pouvons le faire du haut d’un arbre, nous en sommes entourés. Vous verrez que c’est très différent. La jeune femme se leva et tendit aussitôt la main vers son ami qui secouait doucement la tête de gauche à droite. - Vous ne pensez tout de même pas que je vais grimper en haut d’un arbre simplement pour vous faire plaisir ? - Mais où se trouvent votre courage et votre témérité ? - Je suis un roi, les rois ne font pas ce genres de choses. Annéa leva les yeux au ciel avant de se retourner et de faire quelques pas. - Très bien, comme vous voudrez votre majesté, mais moi je vais voir le couché du soleil, vous n’avez qu’à m’attendre ici. - C’est pure folie, murmura Kieran pour lui-même en se levant et avant de rejoindre au pas de course la jeune femme qui s’éloignait toujours sans se retourner. Ils firent quelques courtes minutes de marche, parlant de choses et d’autres. La correspondance qu’ils entretenaient depuis trois ans leur permettait de se connaitre un peu mieux. Ils n’avaient pas voulu rompre tout contact après leurs accès aux trônes même s’ils ne s’étaient plus revus depuis que Kieran avait quitté l’Alisatia avec son armée victorieuse. Ils avaient eu fort à faire depuis ce jour là et les lettres quotidiennes n’avaient été que leur seul lien depuis. Mais chacun connaissait les grandes lignes de la vie quotidienne de l’autre, ils avaient trouvé ce moyen pour échanger leurs craintes mais aussi leurs joies que leur inspiraient leur nouveau statut. Ils avaient tous deux eu besoin de trouver un confident. Leur correspondance n’était un secret pour personne de leur entourage respectif, mais pourtant, personne ne savait ce que contenaient les parchemins confiés aux oiseaux majestueux. Une fois au pied d’un arbre monumental, Annéa s’arrêta et leva les yeux vers le sommet. Kieran en fit de même et soupira profondément en regardant la hauteur de l’arbre. - Vous m’attendez ? demanda Annéa en souriant pour le taquiner. - Vous savez que vous risquez de vous briser la nuque si vous tombez ? - Vous voulez rester ici pour me rattraper c’est bien ça ? Kieran lui sourit et fit le premier pas vers le tronc de l’arbre. Annéa le suivit aussitôt en souriant. - Les premières branches sont hors de porté de main, lança Kieran en se tournant vers la jeune femme, alors que comptez-vous faire ? - De la magie Kieran, murmura Annéa, de la magie. Son ami fronça le sourcils mais ne répondit pas. Il regarda la jeune femme faire le tour du tronc et revenir à sa place initiale à côté de lui. Elle ferma les yeux et des craquements se firent entendre autour d’eux. Kieran regarda aux alentours sans bouger pour autant. - Annéa ? murmura timidement le jeune homme. Des pierres sombres s’envolèrent dans les airs et vinrent se planter dans le tronc épais. Kieran n’osa pas bouger une seule seconde alors que ses yeux regardaient passer les pierres autour de lui. Elles se placèrent les unes derrière les autres, formant un chemin le long du tronc jusqu’aux premières branches. Annéa rouvrit les yeux et se tourna vers son ami. - Vous pouvez y aller, dit-elle, mais retirez votre cape, ce sera plus simple pour vous. - Quelque chose me dit que vous n’aviez pas besoin de cela pour monter au sommet de cet arbre. - En effet, mais vous êtes avec moi alors j'ai dû faire quelques aménagements, à moins que vous comptiez vraiment attendre ici ? - Je suis courageux et téméraire, lança Kieran en lui faisant un clin d’œil, mais je sais également me conduire en parfait seigneur, je vous laisse passer la première, finit-il en faisant un grand signe de la main vers le tronc. Annéa acquiesça et rejoignit l’arbre immense. Elle posa ses mains sur les pierres qui se trouvaient à leur hauteur. - Etes-vous certaine que cela est assez solide ? s’inquiéta le jeune homme en faisant une grimace. - Je le suis, répondit-elle en commençant à grimper doucement. Kieran la regarda monter jusqu’au moment où elle arriva sur la branche la plus basse mais aussi l’une des plus solides. Elle s’y faufila et s’assit tranquillement, laissant balancer ses jambes dans le vide. - Je crois que c’est votre tour, dit-elle à son ami toujours en bas. Celui-ci acquiesça et se défit de sa cape qui s’échoua au sol. Il monta lui aussi doucement, comme Annéa l’avait fait un peu plus tôt. Il devait bien s’avouer à lui-même que cela était plus simple qu’il ne l’avait pensé. Il sentait comme une force le tirer vers le haut, si bien qu’il ne faisait presque aucun effort. Il arriva enfin au niveau de la jeune femme qui n’avait pas bougé un seul instant. - Nous y sommes presque, murmura-t-elle lorsqu’il arriva à sa hauteur. - Je m’imaginais cela plus dur, lui répondit Kieran, avez-vous utilisé votre magie ? - Dépêchez-vous nous ne sommes pas encore au sommet, dit-elle avant de reprendre son chemin. Kieran en fit de même et ils arrivèrent au sommet de l’arbre en silence. Ils se calèrent confortablement contre les branches, laissant dépasser leur tête du feuillage épais. Le soleil se noyait presque déjà dans l’Océan qui s’étendait à perte de vue. L’arbre sur lequel ils étaient montés était sans doute l’un des plus hauts de la forêt, car ils pouvaient voir sous leurs pieds, un tapis de feuillage. Le château se détachait nettement de la falaise, sa carrure imposante et majestueuse contrastait avec les couleurs de la végétation. Des oiseaux s’envolèrent de la cime des arbres se trouvant un peu plus loin, poussant leurs cris qui ressemblaient à une plainte. Le vent fit danser les branches en une caresse et tout doucement, le soleil disparaissait dans des couleurs chatoyantes. - C’est sublime, murmura Kieran avec admiration. - Je savais que vous n’aviez jamais vu un pareil spectacle, lui répondit Annéa en un murmure. - Il est difficile de le faire lorsque nous ne sommes qu’un pauvre mortel comme moi, admit le roi en regardant la jeune femme qui lui souriait tendrement. - Eh bien, dans ce cas, profitez de ce moment, nous ne savons pas s’il peut se représenter un jour. - Mais j’en profite Annéa, dit-il avant de regarder l’horizon à nouveau. Ils restèrent là, pendant de longues minutes, en silence, appréciant simplement l’instant présent. Le soleil disparaissait progressivement embrasant toujours un peu plus le ciel et l’Océan. Une fois qu’il fut totalement disparu derrière la surface miroitante, le ciel s’assombrit doucement. Mais pour autant, ni Kieran, ni Annéa ne voulait regagner la terre ferme. Ils se sentaient tous les deux en paix et loin de tout souci. Il n’y avait rien de plus important que de voir les étoiles naître les unes après les autres dans le ciel qui s’assombrissait de seconde en seconde. Un faible souffle de vent venant de l’Océan fit frissonner la jeune femme, ce que remarqua son ami aussitôt. - Je suis navré d’avoir laissé ma cape au sol, dit-il en la regardant, j'aurais pu vous la donner pour que vous n‘ayez pas froid. - Ne vous en faites pas pour si peu, il nous faut rentrer quoiqu’il en soit, il est temps. Votre ami doit commencer à s’inquiéter pour vous. - Votre entourage, non ? - Gedelius et Elenas me connaissent bien, ils savent que je n’ai pas pour habitude de rentrer au château avant la nuit. - Ils savent aussi que vous êtes parfaitement capable de vous défendre. - Oui, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai sans doute droit à autant de liberté. Mais ne le répétez à personne, dit-elle en riant. - Je ne m’y risquerai pas, avoua Kieran de la même manière, bien alors dans ce cas, comment faisons-nous pour redescendre ? Il jeta un regard en bas du tronc et en eut le vertige, se demandant comment il avait bien pu monter si haut sans avoir senti ses jambes fléchirent à l’un ou l’autre moment. Il n’avait pas regardé en bas, voila pourquoi il avait pu poursuivre sa route sans se soucier du risque qu’il prenait. Et lorsqu’il lui venait l’irréversible envie de regarder le chemin parcouru, il jetait un regard vers son amie qui semblait grimper avec aisance. Aussitôt rassuré par sa présence, il avait continué sans baisser les yeux vers le sol. Mais alors que ses yeux entraperçurent un bout de la cape qu’il avait laissé au sol, il sentit la tête lui tourner. Ses doigts desserrèrent les branches qu’ils tenaient, et doucement, il sentit comme une force l’attirer vers la terre ferme. Mais une main se posa sur son bras et il leva les yeux vers Annéa. - Kieran, vous sentez-vous bien ? demanda-t-elle avec inquiétude. - Oui, bredouilla le jeune homme en respirant profondément. - Avez-vous le vertige ? - Un peu. - Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? Je ne vous aurais jamais demandé de… - Ça ira Annéa, coupa Kieran, je vous assure tout allait bien jusqu’au moment où j’ai cherché un moyen de descendre d’ici. - Donnez-moi votre main. - Je ne pense pas que cela y change quoique se soit. - Je vais nous faire descendre de cet arbre, insista la jeune femme, donnez-moi votre main. Il regarda la main tendue un instant dans sa direction avant de poser la sienne dessus. Annéa referma ses doigts sur les siens et lui sourit tendrement. - Bien, maintenant fermez les yeux. - Vous ne voulez pas que je vois votre secret ? dit-il en essayant de détendre l’atmosphère. - Je doute que vous soyez en mesure de le reproduire de toute façon. Le roi grimaça et s’exécuta en silence. Annéa le regarda un instant avant de fermer les yeux à son tour. Ils disparurent doucement pour réapparaître quelques secondes plus tard au pied de l’arbre. Kieran sentit le sol se matérialiser sous lui à nouveau et il ouvrit les yeux aussitôt. Un sourire radieux se dessina sur ses lèvres. - Merci, répondit-il simplement, je me sens plus à l'aise ici. - Je vous en prie, dit Annéa en ramassant la cape qu’elle lui tendit d'une main. - Mettez-la si vous avez froid. - Non, il vaut mieux que l’on ne vous reconnaisse pas en entrant au château, que personne ne sache que vous êtes ici avant que je n’en informe Gedelius et Elenas. - Vous avez sans doute raison. - Mais s’ils n’y voient aucun inconvénient, sachez que vous serrez reçu comme il se doit à ma table. Un banquet sera donné en l’honneur d’un roi ami du royaume. - Vous m’en voyez ravi, car nous n’avons que très peu mangé sur notre route. Annéa rit aux éclats et ils commencèrent à marcher doucement. - Je veillerai dans ce cas à ce que vous ne manquiez de rien, ajouta la jeune femme alors qu’ils prirent le chemin du château.
Ils mirent quelques minutes avant de retrouver Egendall et Bellera, les attendant tranquillement depuis de longues minutes déjà. Les deux hommes se couvrirent la tête et Annéa prit Bellera derrière elle. Ils marchèrent doucement, mais arrivèrent rapidement à la forteresse où les feux avait été allumé. La reine salua l’une ou l’autre personne sur son chemin, puis elle remit Bellera à un homme qui avançait vers elle afin que la jument puisse regagner les écuries. Elle prit son épée ainsi que le sac en toile qu’elle avait fixé sur les flancs de l'animal et après lui avoir accordé un dernier regard, elle se tourna vers ses amis. - Suivez-moi, dit-elle à leur intention avant de passer la lourde porte en bois menant à la partie habitée du château. Ils gravirent quelques marches avant d‘arriver dans une autre cour entourée de voûtes massives. Ils se pressèrent sous les arcades pour emprunter une autre porte et arriver dans un grand hall majestueux. Annéa se tourna vers ses amis et prit enfin la parole. - Je vais vous laisser pour m’entretenir avec Elenas et Gedelius en ce qui concerne notre affaire. Nous allons vous conduire dans une aile du château où vous pourrez vous reposer, vous changer et surtout, prendre un bain, dit-elle en souriant, je vous ferai savoir toute décision en ce qui vous concerne. - Très bien, acquiesça Kieran, tout ceci me semble honnête. Mais si vos conseillers n’accèdent pas à ma requête ? - Nous aviserons en temps voulu. Mary, dit-elle a une jeune femme qui approchait, conduisez ces hommes dans les appartements de l’aile Est, qu’on leur prépare des vêtements propres et qu’on s’occupe de leur toilette. Ils sont mes invités, donnez leur ce qu’ils vous demandent. Faites également monter de la nourriture dans leur chambres. - Bien majesté, répondit la jeune femme en s’inclinant un bref instant, si vous voulez bien me suivre messires. Egendall se tourna un bref instant vers la reine et inclina la tête avant de suivre la jeune femme qui s’éloignant déjà vers l’escalier imposant. Kieran quant à lui regarda son amie et lui sourit tendrement. - Merci, murmura-t-il pour qu’elle seule entende. - Je vous en prie, répondit Annéa de la même manière avant de le regarder s’éloigner vers les étages supérieurs.
Elle resta immobile quelques instants puis elle se dirigea vers un petit couloir se trouvant sur sa droite. Annéa l’emprunta sur plusieurs mètres et elle poussa une porte en bois derrière laquelle elle s’engouffra. Elle s’avança vers une vieille femme qui lui tournait le dos, concentrée au-dessus d’un chaudron fumant. La reine déposa son sac en toile à côté d’elle et lui parla doucement. - Selena, pouvez-vous vous occuper de mettre ceci à sécher ? J’en aurai besoin pour l’une ou l’autre potion. Je souhaite que vous en occupiez personnellement. - Je pensais que nous devions les travailler ce soir. - J’ai une affaire importante à régler de toute urgence. Nous remettrons notre séance pour un autre jour. - Bien ma reine. - Vous êtes vous chargez de porter le remède de Kyrah à Mynah ? - Je lui ai apporté ce matin même, Nöella l’a fait la nuit dernière. - Très bien, j’irai la voir pour vérifier que tout va bien, répondit Annéa en se dirigeant vers la porte, bonne soirée et profitez-en pour aller vous reposer Selena, lâcha-t-elle avant de s’éclipser. - Au revoir majesté, murmura la vieille femme en poursuivant sa tâche. Annéa fit le chemin inverse et arriva dans le grand hall à nouveau. Elle monta les marches imposantes et ne croisa personne jusqu’à la bibliothèque richement ornée. Des centaines de bougies y brûlaient comme par magie et à son centre se trouvait Gedelius plongé dans un ouvrage épais, laissant glisser la plume sur le papier abîmé. - Encore à votre écriture Gedelius ? lança Annéa en entrant. Il leva les yeux vers elle et quitta son fauteuil en bois pour s’incliner un instant avant de prendre la parole. - Je me dois de finir cet ouvrage le temps que je le peux encore, afin que les générations futures sachent ce qu’il s’est passé autrefois. Et vous ma reine, toujours à escalader les arbres ? dit-il en souriant. Annéa remarqua enfin la feuille qui s’était logée derrière son oreille, parfaitement bien enroulée dans ses cheveux attachés. Elle la retira délicatement en lui souriant. - Je vis le présent, se justifia la jeune femme, à ce propos, savez-vous où se trouve Elenas ? Je me dois de m’entretenir avec vous deux pour une affaire importante. - Je pense qu’il est auprès de sa fille dans ses quartiers. - Kyrah va-t-elle mieux ? Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de m’occuper d’elle ces derniers jours et je crains que cela ne soit encore le cas quelques temps. - Encore un jour ou deux et elle ira beaucoup mieux, répondit Gedelius avant de se replonger dans son livre. - C’est très bien, murmura Annéa, je vais faire demander Elenas. - Cette affaire ne peut-elle pas attendre un peu ? - Non, c’est de nature urgente, le temps pour moi d’aller passer d’autres vêtements et je reviens. - Je ne bouge pas d’ici, répondit Gedelius en levant les yeux vers la jeune femme, il me faut finir ce paragraphe. Annéa acquiesça et quitta la pièce à nouveau. Elle se rendit rapidement dans ses appartements. Elle passa d’autres vêtements, une brosse dans ses cheveux afin de les démêler ainsi qu’un peu d’eau sur son visage, ses mains et ses pieds pour se rafraîchir. Elle regagna ensuite les appartements où vivaient Elenas et sa famille. Elle chargea une personne de le prévenir de sa présence et entra dans une pièce où était couchée une petite fille dans un lit. Kyrah lui sourit largement en la voyant approcher et Annéa adressa un tendre signe de tête à la femme qui se trouvait avec elle. - Bonsoir Mynah, dit-elle en souriant, bonsoir Kyrah. Comment vas-tu ce soir ? - Ça va, répondit timidement la jeune fille, ça me gratte encore beaucoup. - Il faut du temps pour que tu guérisses, c’est bien normal, répondit Annéa en caressant tendrement son front. - Ce qui la gêne le plus est le fait qu’elle ne peut pas quitter cette pièce, lança Mynah en riant. - Ooh, ça je l’imagine bien, soupira Annéa de la même manière, mais tu sais que c’est important pour que tes frères et sœurs n’attrapent pas ce que tu as. - Oui je sais, répondit timidement la petite fille en faisant la moue, tu es allée voir le couché du soleil sans moi aujourd'hui. - Nous ferons cela une autre fois, je suis désolée de ne pas m’occuper toujours de toi comme tu le souhaites, mais j’ai de très importantes choses à faire. Je suis tout de même venue te rendre visite non ? - Si. - Bien, repose-toi et quand tu seras guérie, je te promets que nous irons en forêt toutes les deux. Mais ce soir je dois m’entretenir avec ton papa pour une affaire importante. - Elenas vient juste de partir, intervint Mynah. - Je l’ai fait demander, il devrait m’attendre dans la bibliothèque avec Gedelius. Je voulais voir mon amie avant de m’y rendre. - Rien de grave ? s’inquiéta la femme en fronçant les sourcils. - Eh bien, je ne saurais dire, admit Annéa, le retour d’un vieil ami peut présager de bonnes choses comme des mauvaises. - Un vieil ami ? - Je ne peux vous en dire plus pour l’instant, soupira la reine, je vous informerai de tout en temps voulu. Je me dois d’y aller à présent. - Bien, acquiesça Mynah. - Au revoir Kyrah, à bientôt, dit Annéa en caressant tendrement le nez de l’enfant. - A bientôt, répondit-elle simplement. - Passez une bonne nuit Mynah, ajouta la jeune femme avant de se diriger vers la porte. - Vous aussi ma reine, répondit-elle poliment en lui accordant un dernier regard lorsqu’elle ferma la porte derrière elle.
Annéa mit quelques minutes avant de rejoindre la bibliothèque une nouvelle fois. Elle entendit des voix graves s’en élever et comprit que Elenas avait bien reçu son message et s’entretenait avec Gedelius quand aux raisons de leurs convocations urgentes. La jeune femme soupira profondément et poussa d’un geste bref la lourde porte en bois. Aussitôt dans la pièce, elle croisa le regard des deux hommes qui se tournèrent vers elle et s’inclinèrent un court instant. Annéa leur adressa un signe afin qu’ils se redressent, ce qu’ils firent aussitôt, attendant simplement qu’elle ne prenne la parole. Elle ne prononça pas un mot pendant quelques temps, s’approchant des fenêtres pour y jeter un œil au-dehors. La nuit était tombée et elle ne pouvait que voir les feux vaciller dans la cour qui se trouvait en contrebas. Elle n’avait donc aucune raison pour se plonger dans une quelconque contemplation, mais elle ne savait pas comment leur dire que Kieran était venu la voir pour lui demander son aide. Elle ne savait pas comment leur annoncer qu’elle la lui avait déjà accordé et que cela signifiait qu’elle devrait quitter le château et le royaume plusieurs semaines, voire même, plusieurs mois. Annéa craignait la colère du mage et l’incompréhension du chevalier. Mais elle ne pouvait faire marche arrière, elle l’avait promis et elle n’avait qu’une parole. Rien ne comptait plus à ses yeux que la promesse qu’elle avait faite à un ami. Gedelius et Elenas pourraient le comprendre, du moins, elle l’espérait de tout cœur. - Vous m’avez fait demander pour une affaire urgente ma reine, murmura Elenas derrière la jeune femme, rien de grave ? - Non pas exactement, soupira Annéa en se tournant vers lui, du moins elle ne menace pas le royaume. - Vous ? questionna Gedelius en fronçant les sourcils. - En quelque sorte, avoua la jeune femme en faisant une grimace. - Quelle est-elle ? s’inquiéta Elenas toujours sur le qui-vive. - Eh bien voilà, j’ai eu la visite d’un vieil ami aujourd’hui lorsque je me trouvais en forêt. Kieran est ici, lâcha-t-elle dans un souffle. - Le roi d'Ivingar ? s’exclama Elenas. - Lui-même et il est venu me demander mon aide que je lui ai accordé sans la moindre réserve. - Que dites-vous ? lança Gedelius en faisant le tour de la table en bois en se dirigeant vers la jeune femme. - Je sais que j’ai pris une décision importante sans vous en informer auparavant, mais j’ai accordé ma confiance à Kieran, il m’a été d’un grand secours, vous le savez aussi bien que moi. Aujourd’hui, c’est lui qui demande mon aide et je me vois la lui accorder. - Qu’elle est la nature de ce service ? murmura le mage sans quitter la reine des yeux. - Il se trouve dans une position délicate. Son cousin convoite son trône et il n’a d’autre choix que de prouver sa bravoure et son courage pour le garder. Pour cette raison, il doit effectuer une tâche ardue. Il doit combattre l’une des créatures vivantes sur les îles du Nord, et il se doit d’en rapporter pour preuve une de ses épines dorsales. Cette créature est très dangereuse, je le sais puisque j’ai affronté l’une d’entre elles. C’est un Waagal. - Et je sais quel fut le résultat de ce combat, ajouta Gedelius, j’étais là Annéa. Je vous ai vu mourante dans les bras de votre mère, je l’ai vu morte de chagrin et d’inquiétude sans vouloir quitter votre chevet une seule seconde pendant des semaines. Et je vous ai soigné pendant tout ce temps là. J’ai moi-même mis le feu à la carcasse de la créature et dois-je vous rappeler un détail important ? Elle était la dernière de son espèce. - Je sais tout cela Gedelius, répondit Annéa, je vous serai éternellement reconnaissante pour ce que vous avez fait pour moi. C’est pour cette raison que je ne peux pas laisser Kieran seul dans un pareil moment. Si une autre créature vit encore quelque part, nous nous devons de la trouver, de l’affronter et d’en revenir avec une preuve de ce combat. - La preuve sera vos dépouilles à tout deux, ajouta Gedelius, c’est pure folie. - Que voulez-vous que je fasse dans ce cas ? Avez-vous une meilleure idée que celle-ci ? Dois-je abandonner un ami à son sort funeste ? - Vous êtes exceptionnelle Annéa, reprit le mage, mais vous n’êtes pas immortelle. Votre pouvoir et le médaillon qui se trouve à votre cou vous sont d’une aide précieuse mais ils ne vous protègent pas de la mort. Beaucoup trop de personnes ont sacrifié leur vie pour la votre et pour vous protéger de Sianna depuis votre naissance, vous n’avez pas le droit d’aller au devant du danger de cette manière. Pensez à votre peuple, que se passera-t-il s’il perd sa reine ? - Gedelius, je sais que l’instant n’est peut être pas le meilleur, que le royaume se remet doucement de ses blessures, quand tant que reine je me dois de penser à mon peuple avant tout. Mais quelle personne et quelle amie serais-je si je ne venais pas en aide à l’un de mes proches envers qui j’ai une dette ? - Vous seriez une personne censée. La jeune femme ne répondit pas et fit les cent pas, arpentant de long en large la salle. Gedelius quant à lui relâcha un peu la tension et ferma les yeux quelques instants afin de retrouver le calme qui le caractérisait. Elenas les regardait l’un après l’autre, toujours en silence, il réfléchissait. Il approuvait la réaction de Gedelius et il était d’accord avec lui sur un point, mais sur un autre, il comprenait ce que pouvait ressentir la jeune femme. Lui aussi aurait tout fait pour venir en aide à ses amis lorsque le moment était venu, mais lui n’avait jamais rien pu faire. Il avait protégé Annéa comme il avait pu et lui avait prêté serment d’allégeance, à ce titre il était en mesure de risquer sa vie pour elle. Elenas connaissait le sens du mot loyauté alors que Gedelius n’écoutait que celui du devoir. Annéa avait toujours beaucoup tenu compte de l’avis du mage, c’est lui qui lui avait appris tout ce qu’elle savait pour combattre. Il était d’une grande sagesse et peut être était-ce la raison pour laquelle il s’évertuait toujours à vouloir le mieux pour la protection de la jeune femme. Peut être était-ce aussi parce qu’il avait fait la promesse à Divona de protéger Annéa de toute mauvaise magie mais également d’elle-même. Car l’ancienne reine de l’Enna connaissait sa fille dans les moindres détails, sachant pertinemment que ses faiblesses et ses forces étaient intimement liées et qu’elles pouvaient l’amener à sa propre perte. Gedelius avait eu toujours très à cœur l’importance de la magie et jamais personne avant Annéa n’avait autant remis en question les lois établies, ce qui le déstabilisait très souvent et encore à cet instant. Il ouvrit les yeux et les posèrent sur la jeune femme qui se trouvait un peu plus loin, caressant du bout des doigts une reliure en cuir épais. Son regard se posa sur Elenas qui hocha la tête en signe d’approbation. - Très bien, soupira le mage, même si je n’approuve pas votre décision je m’y plie. Annéa le regarda avec incompréhension et il reprit la parole. - Vous êtes ma reine après tout, je me dois de répondre à vos requêtes. - Je vous en prie Gedelius, je ne vous demande d’accepter toutes mes requêtes, je vous demande votre avis avant tout. - Vous l’avez. La reine soupira profondément et se tourna vers le chef de sa garde personnelle. - Elenas, qu’en pensez-vous ? Vous restez muet. - Puis-je parler en toute sincérité ? - Je préférerais oui, admit Annéa, même si vous pensez que votre réponse risque de ne pas me plaire. - En tant que reine votre choix est difficile, vous avez des sujets qui comptent sur vous. Mais en tant qu’amie, vous avez des proches qui ont besoin de vous aussi. Le roi d’Ivingar est un allié de taille qu’il ne faudrait pas se mettre à dos. Vous avez fait assez de sacrifices au nom du royaume, peut être faut-il aussi que vous fassiez ce qui est bon pour vous. Je ne dis pas que vous devez choisir la couronne ou votre ami, mais parfois il nous faut faire des concessions, nous ne pouvons pas avoir tout ce que l’on souhaite. Vous êtes reine de deux peuples qui plus est, personne ne changera votre statut même s’il peut arriver qu’on le conteste. Sachez cependant une chose, si vous décidez de partir, je vous accompagnerais, car je vous ai fait la promesse de vous protéger au péril de ma vie, que se soit dans ce château ou aux confins de ce monde. Mais cette promesse je l’ai aussi faite à vos parents et à la couronne. Annéa resta silencieuse un instant avant de voir Gedelius se diriger vers les fenêtres et de regarder lui aussi ce point invisible qui se trouvait dans la nuit noire. - Si vous faites ce voyage, dit-il sans la regarder, vous pourrez compter sur moi également, il en va de soi. - Je souhaite que vous restiez au château Gedelius, car il n’y a qu’à vous que je peux confier les rênes du royaume. - Votre décision est prise ? dit-il en se tournant vers elle à nouveau. - J’en ai peur, murmura la jeune femme, je me dois d’écouter mon cœur, je suis navrée si je vous déçois. - Vous ne le faites en rien, répondit Gedelius, j’espérais seulement pouvoir vous protéger de vos sentiments, comme j’ai essayé de le faire avec votre mère. - Cela n’a pas vraiment porté ses fruits, admit la jeune femme en riant, ni avec elle, ni avec moi. - Non en effet, répondit-il en souriant. - J’aimerai juste savoir ce qu’elle peut penser de tout cela. - Hélas ma reine, je doute que vous ne le sachiez un jour. - Je garde tout de même espoir de la revoir avant que je ne gagne Gwenwa. Les deux hommes ne répondirent pas mais remarquèrent la pointe de tristesse traverser le regard bleu de la jeune femme. Depuis que Divona les avaient quitté trois ans plus tôt, elle n’avait plus eu aucun contact avec elle. Elle l’appelait souvent lorsqu’elle voulait son conseil ou lorsqu’elle avait juste besoin de la voir et de lui parler, mais jamais personne ne lui répondait. Il n’y avait que le silence en réponse à ses demandes. Divona était partie en jurant que si elle avait besoin d’elle, elle serait là, tout comme Cynnéa lui avait apporté son aide l’une ou l’autre fois. Mais Divona ne l’aidait jamais et la jeune femme finissait par trouver ses réponses toute seule. Il lui arrivait de sentir encore les lendemains matins des nuits difficiles, ses yeux lui bruler des larmes qu’elle avait versés sans que personne ne les sèches. La jeune femme chassa toutes ses idées noires rapidement de son esprit, pour se concentrer sur les choses vraiment importantes à cet instant. - Je mettrai en place tout ce qu’il faudra avant notre départ. Kieran et Egendall resteront vivre au château et seront traités selon l’importance de leurs rangs. Un banquet sera organisé en l’honneur du roi. - Vous partirez dans combien de temps ? demanda Gedelius. - Dans quelques jours, j’ignore encore les détails, nous n’en avons que très peu discuté. Il nous faudra sans doute organiser une réunion où nous pourrons en parler ensemble. Il sera plus en mesure de vous donner certains détails lui-même. - Très bien, acquiesça Elenas. - Je me chargerai de vous tenir informé de tout, pour l’instant, Kieran et Egendall se reposent. Personne ne sait encore qu’ils sont ici, je l’annoncerai officiellement dès demain. Retournez à vos occupations, nous avons tous besoin de repos et de réfléchir quant à la suite des événements. - Bien, répondit Elenas, bonne nuit ma reine, dit-il avant de s’incliner un bref instant. - Bonne nuit à vous aussi Elenas, répondit-elle alors qu’il se redressait déjà. Il lui accorda un tendre sourire et quitta la pièce aussitôt après. Annéa soupira et se tourna vers le mage qui n’avait toujours pas bougé. - Gedelius, je souhaiterai que Elenas reste ici également. Il a une famille et je ne veux pas qu’il risque sa vie. - Que me demandez-vous de faire ? - L’empêcher de me suivre, par n’importe quel moyen s’il le faut. Je ne peux pas lui demander de ne pas venir, il ne le comprendrait pas, vous le savez aussi bien que moi. - Que faites-vous de la liberté de choix ? - Je ne veux pas qu’il perde la vie. - Ne demandez pas aux autres ce que vous n’êtes pas en mesure d’accomplir vous-même Annéa. S’il fait le choix de vous accompagner pour ce voyage vous ne pouvez l’en empêcher et utiliser la magie serait contre toutes vos convictions, je me trompe ? - Pourquoi est-ce si dur de choisir entre le cœur et la raison ? soupira la jeune femme pour elle-même. - Ça l’a toujours été et ça le sera encore le cas pour des siècles. - La vie n’est vraiment pas une chose facile. - Mais elle vaut pourtant la peine d’être vécue, répondit Gedelius avant de s’asseoir sur son fauteuil à nouveau. - Je ne le nierai pas. Gedelius lui accorda encore un regard avant de se plonger dans son livre à nouveau comprenant que l’entretien n’avait plus rien d’officiel mais ressemblait davantage à une discussion entres amis. Annéa le regarda reprendre la plume qu’il avait lâché quelques temps auparavant et les yeux du mage arpentèrent la page jaunie. Il relisait les dernières lignes qu’il avait écrit, la plume à quelques centimètres au-dessus du parchemin. Puis, il se pinça les lèvres un court instant avant de tremper la plume dans l’encre et d’écrire à nouveau. Annéa le quitta alors des yeux et fit quelques pas vers la porte en bois. Elle l’ouvrit et se tourna une fois encore vers le vieil homme. - Je suis épuisée, je vais me reposer. Bonne nuit Gedelius, lui lança-t-elle. - Bonne nuit ma reine, grommela-t-il dans sa barbe en levant à peine son regard vers elle une seconde.
Elle quitta la pièce et rejoignit rapidement les quartiers où logeaient ses deux visiteurs inattendus. Elle demanda à voir Kieran qui avait été lavé et changé et qui dînait tranquillement mais avec appétit. Ils discutèrent quelques minutes de l’entretien que la jeune femme avait eu avec ses conseillers. Le roi avait beaucoup écouté en silence attendant qu‘elle finisse son récit. Annéa lui proposa de rester quelques jours au château afin de tout préparer pour son départ mais aussi pour qu’il se repose pleinement avant la route qu’ils auraient à faire. Un banquet officiel serait donné le lendemain en l’honneur du jeune homme, mais en attendant, il devait prévenir ses conseillers et chevaliers restés au château et éviter de se montrer. Non pas qu’il fut en danger une seule seconde, mais pour empêcher que des rumeurs ne se répandent plus vite que la lumière. Kieran consentit aux exigences de son amie et elle le quitta ainsi entendu, regagnant ses appartements personnels pour passer la nuit.
Le lendemain, Annéa devait s’occuper de ses devoirs quotidiens, sans prendre le temps de se soucier de ses visiteurs. Ceux-ci ne manquaient de rien et se satisfaisaient de l’hospitalité qui leur était accordée. Gedelius et Elenas avaient rencontré tour à tour le roi qui séjournait dans ses quartiers. Le chevalier avait fait quelques pas avec lui dans la haute cour du château. Ils avaient échangé quelques mots officieux quand à la venue du roi ainsi qu’au rôle que jouerait la jeune femme dans cette quête. Elenas mettait un point d’honneur à effectuer sa tâche avec sérieux, et pour cela, il avait tenu à s’entretenir avec lui. Il voulait connaitre les faits de la bouche de l’homme concerné avant de les entendre officiellement le soir même en compagnie de Gedelius, d’Egendall et de la reine. Kieran avait immédiatement compris l’intention du chevalier et il s’était donc plié aux règles de son interrogatoire. Le roi avait admis pour lui-même que si tout cela ne concernait pas son amie, sans doute n’aurait-il jamais laissé un chevalier le questionner de la sorte. Elenas avait très à cœur de connaitre un peu mieux le jeune homme. Il ne l’avait que brièvement côtoyé pendant quelques jours il y de cela trois ans. Il voulait se faire sa propre idée sur lui, et mettre de côté tout ce que lui avait appris la jeune femme. Le chevalier savait parfaitement que Annéa pouvait s’emballer puisque depuis qu’il vivait auprès d’elle, il l’avait vu plus d’une fois. Il entendait souvent le nom du roi d’Ivingar dans sa bouche et ce n’était pas qu’en des termes élogieux. Il lui arrivait même à se demander comment cela était possible qu’ils soient amis tout les deux. Elenas avait d’abord pensé que la reine agissait ainsi avec le jeune homme car elle se sentait redevable, mais il avait rapidement compris que tout était bien plus compliqué que cela. Il ne comprenait simplement pas pourquoi de son côté le roi avait fait appel à elle pour une mission si dangereuse. Et malgré toutes les questions qu’il lui avait posé, celle-ci demeurait toujours sans réponse. Les deux hommes avaient donc parlé de choses et d’autres tout en poursuivant leur promenade d’un pas tranquille. Ils s’étaient finalement quittés quelques minutes plus tard alors que Kieran fut rejoint par Egendall. Le roi demanda rapidement à être seul. Il rejoignit le jardin qu’il avait pu visiter avant son départ de l’Alisatia. Ses pas le conduisirent immédiatement vers un chêne massif mais encore relativement jeune vu la circonférence de son tronc. - On raconte qu’il annoncerait la renaissance de ma famille, lança une voix féminine dans son dos. Kieran se retourna aussitôt vers la reine qui avançait vers lui le pas tranquille, un immense sourire sur les lèvres. Le jeune homme lui sourit en retour et inclina brièvement la tête avant qu’elle n’en fasse de même. - Est-ce l’arbre mort que j’ai vu il y a de cela trois années ? demanda Kieran. - Oh non, nous avons dû enlever la souche pour qu'un autre puisse s'épanouir, celui-ci est la jeune pousse qui grandissait à son pied. - Comment cela est-il possible ? soupira Kieran en regardant le sommet. - Sachez majesté, qu’après avoir passé quelques temps auprès de moi, il vous faudra oublier cette question. Certaines choses ne peuvent pas s’expliquer, il vous faut les accepter, ni plus, ni moins. - Ce n’est pas dans mon tempérament, répondit le jeune homme en la regardant à nouveau, vous le savez Annéa. - C’est sans doute pour cette raison que nous sommes en conflit aussi souvent. - Ça l’est sans doute, admit le roi en souriant, mais dites-moi, ajouta-t-il en croisant ses bras sur son torse, ne deviez-vous pas régler des affaires urgentes au lieu de vous entretenir avec moi ? - La plupart sont réglées. Je tenais à vous convier personnellement pour un entretien avec mes conseillers les plus proches quand à notre départ prochain. Même si j’ai cru comprendre que tout deux vous avaient déjà demandé une audience. - J’ai échangé quelques mots avec Gedelius et Elenas en effet, je dois même vous avouer que mon entretien avec votre Lieutenant fut très long. - Vraiment ? Je suis surprise d’entendre cela, Elenas n’est pas ce qu’il y a de plus loquace. - Il sait très bien où se trouvent ses intérêts, croyez-moi. - Qu’entendez-vous par là ? rétorqua Annéa en fronçant les sourcils. - Qu’il vous protège comme il se doit, murmura le jeune homme, il doit tenir à vous plus qu’on ne demande à un chevalier de tenir à sa reine. - Un chevalier se doit d’être loyal envers son roi et sa reine, il se doit de risquer sa vie si on le lui demandait. Elenas connait parfaitement le devoir qu’il a envers moi et si cela semble vous choquer peut être faudrait-il revoir la manière dont vos chevaliers vous servent. - Ils le font comme il se doit, mais ils ne se permettent pas d’intervenir dans ma vie privée comme le font pour vous Elenas et Gedelius. - Les circonstances sont différentes, ma vie a été très menacée. - Demanderiez-vous à Elenas de risquer sa vie pour vous ? - Non, en aucun cas car je ne m’estime pas en droit de le faire. - C’est bien ce que j’ai cru comprendre. Vous choisissez vos conseillers comme si vous choisiriez votre famille. Vous ne le faites pas par intérêt, par loyauté ou quoique se soit de semblable, vous le faites par amitié, amour et confiance. - N’est-ce pas votre cas ? - Hélas non, je n’ai pas ce choix à ma disposition, je ne suis pas aussi entouré que vous l’êtes. Peut être cela changera, si toutefois je revenais vivant de ce périple, soupira le roi. - Pour l’instant venez, lança Annéa en posant sa main sur son bras une fraction de seconde, ils vont nous attendre sans cela. - N’êtes-vous pas une reine ? lança-t-il en riant. - Si, mais ce n’est pas une raison pour être impolie, répondit-elle en lui faisant un clin d’œil avant de lui emboîter le pas vers le pont en bois qui les faisait quitter le jardin tranquille.
Les deux jeunes gens mirent quelques courtes minutes à arriver dans la salle du trône déserte à cette heure. Kieran avait simplement suivit Annéa dans le dédale de couloirs, d’escaliers et de portes en bois plus ou moins riches en décorations. La reine connaissait à présent son château sur le bout des doigts, du plus sombre cachot à la plus haute des tours. Le roi était encore abasourdi de voir comment aussi rapidement elle avait tout découvert et tout appris. Lui-même vivant dans la même demeure depuis sa plus tendre enfance n’en connaissait pas chaque recoin comme Annéa le savait sur son propre château. Les grandes portes en bois sculpté s’ouvrirent devant eux et ils entrèrent d’un même pas dans la grande salle spacieuse. Les colonnes imposantes soutenaient les arcs majestueux de nombreux mètres plus haut. Les rayons du soleil entraient par les hautes fenêtres aux vitraux colorés. Un souffle de vent s’engouffrait timidement par l’ouverture menant au balcon, faisant danser doucement le rideau de soie qui s’y trouvait. Les pas du roi d’Ivingar et de la reine du Ronnan et de l’Enna retentissaient sur le sol clair. Ils avançaient d’une marche soutenue vers l’estrade qui se trouvait à l’extrémité de la nef centrale, là où, était placé le trône sculpté. Elenas, Gedelius et Egendall se trouvaient tout les trois là, discutant devant les marches. Kieran eut le temps de remarquer le regard noir que lui lançait Annéa avant qu’ils n’arrivent à leur hauteur. Les trois hommes s’inclinèrent un instant puis ils entamèrent la conversation qui les avait rassemblé ici. Le roi avait exposé avec détail, comme il l’avait fait dans la forêt, tout ce qui l’amenait à venir leur demander leur aide. Egendall était là pour confirmer que tout cela était bien vrai et non pas exagéré par la colère qu’éprouvait le roi envers son rival. Annéa quant à elle, avait très peu parlé, préférant laisser ses conseillers et amis prendre part à la conversation. Après de longues et interminables minutes à débattre sur le sujet de la sécurité de la reine, ils finirent par se quitter sur un accord. Elenas accompagnerait la jeune femme dans son périple et Gedelius se chargerait de maintenir le calme et l’ordre dans le royaume. Il serait également l’intermédiaire entre la reine et les dirigeants des différents comptés à travers le pays. Elle devait organiser un conseil extraordinaire dès le lendemain, envoyant ainsi des mages et des sorcières qui pouvaient chercher ses membres en quelques minutes à peine. Le château fourmillait déjà pour préparer le banquet qui allait avoir lieu le soir même en l’honneur de l’invité de marque. Tout était donc prévu pour que le départ de la jeune femme se passe au mieux pour tous. La reine avait fait demander les plus beaux vêtements pour Kieran. Il avait prit soin d’emmener avec lui sa couronne pour que son cousin ne soit pas tenté de faire quoique se soit en son absence. Son amie en doutait fortement, tout comme Egendall d’ailleurs, mais Kieran de nature méfiante, et encore davantage depuis ce coup de poignard dans le dos, ne voulait pas s’y risquer. Ils rejoignirent donc chacun leurs appartements après leur réunion et se préparèrent pour le banquet. Une fois lavée, habillée, coiffée, parfumée et fardée, Annéa rejoignit les étages inférieurs. La grande salle était déjà pleine de monde, les invités discutant les uns avec les autres. Lorsque la jeune femme posa son pied sur la dernière marche de l’escalier imposant, une voix l’interpella un peu plus loin. - Ma reine. Celle-ci se retourna et sourit tendrement au jeune homme qui se pressait de descendre les marches pour venir à sa hauteur. Une fois à côté d’elle, ils inclinèrent la tête un bref instant avant de se diriger vers les lourdes portes en bois gardées par deux hommes. - Vous savez, murmura Kieran, je vous préfère ainsi vêtue, la couronne vous va mieux que les feuilles et les branchages. - Que dois-je comprendre ? lança Annéa en s’arrêtant. - Que vous êtes superbe, répondit aussitôt le jeune homme avant de déposer un baiser sur sa main. Annéa lui sourit mais ne répondit pas alors que les deux gardes ouvrirent largement les portes de la grande salle du château d’Alisatia.
La fête battait son plein depuis plusieurs heures déjà et il était très tard dans la nuit lorsque Gedelius se décida à aller toucher deux mots à Elenas. Celui-ci se trouvait à côté de la grande cheminée dans laquelle brûlait tranquillement le feu. Elenas tenait une coupe à la main et ne quittait pas des yeux Kieran et Annéa dansant toujours au centre de la pièce alors que beaucoup d’autres avaient rendu les armes avant eux. Le mage s’approcha du chevalier et posa sa main sur son épaule pour lui signaler sa présence. Il quitta le couple des yeux et leva sa coupe en même temps que son ami avant de boire une gorgée chacun. Une seconde plus tard, Elenas regardait à nouveau les deux jeunes gens un peu plus loin. - Tu prends ça beaucoup trop à cœur, lança Gedelius dans un murmure, la reine nous est précieuse, mais elle sait ce qu’elle fait. - C’est toi qui ose me dire cela ? répondit aussitôt Elenas. En ce qui me concerne je n’ai pas cherché à l’empêcher de partir. -Je me doutais que mes mots ne l’atteindraient pas, Divona non plus ne m’écoutait jamais. Mais tu peux me faire confiance quand je t’affirme qu’elle est assez puissante et intelligente pour se passer de toi lors de ce voyage. - J’en ai fait la promesse Gedelius, je considère la reine comme ma propre fille et je refuse qu’elle aille au devant du danger sans une aide précieuse. - Elle possède déjà une aide, nous le savons tous les deux. Alors dis-moi plutôt de quoi veux-tu la protéger ? Elenas ne répondit pas mais ne quitta pas des yeux la reine et le roi qui riaient aux éclats un peu plus loin. Gedelius suivit son regard avant de secouer la tête de gauche à droite doucement. - Tu ne pourras pas la protéger du chagrin, dit-il dans un souffle. - Elle a déjà beaucoup trop souffert, répondit Elenas, tu sais aussi bien que moi que si elle venait à perdre un autre être cher à son cœur, elle pourrait en être anéantie. - Et si cet être était toi Elenas ? - Mais qu’essais-tu de me dire ? lança-t-il en se tournant enfin vers lui. T’a-t-elle demandé de m’empêcher de partir ? - Par tous les moyens, admit Gedelius. - Je ne devrais pas m’en montrer étonné, je ne le suis pas d’ailleurs. Et que vas-tu faire pour m’en empêcher ? - Je serais capable de beaucoup, crois-moi, répondit Gedelius en riant. - Je n’en doute pas une seule seconde, fit Elenas sur le même ton. - Pour autant, saches que je n’en ferai rien, Annéa comprend parfaitement ton geste et elle ne veut pas aller contre ta volonté et t’imposer sa décision. - Je la reconnais bien là, Lowen aurait été fier d’elle. Il aurait aussi compris qu’elle agisse de la sorte pour le roi d’Ivingar. - Je ne l’ai que très peu connu, mais Divona… Il secoua la tête de gauche à droite se souvenant parfaitement du caractère bien trempé de la reine. Les deux hommes échangèrent un regard et rirent aux éclats au même moment avant de boire une autre gorgée de vin. Ils furent interrompus par Annéa et Kieran qui approchèrent d'un même pas. - Elenas, Gedelius, lança Kieran, je viens vous demander la permission de raccompagner la reine à ses quartiers. Je crois que le vin a fait son œuvre ce soir. - Je n’ai que de très rares occasions de donner un tel banquet, se justifia la jeune femme, et sachez que je suis encore loin d’être ivre. - Je crains que sir Kieran ait raison, répondit Gedelius, il se fait tard ma reine, vous devriez aller vous reposer. - Bien, soupira Annéa en levant les yeux au ciel, vous vous êtes trouvé un allié de taille en la présence de Gedelius, Kieran. - Je savais qu’il œuvrait pour le meilleur en ce qui vous concerne voila tout, dit le roi en accordant un clin d’œil au mage. - Dans ce cas, bonne nuit Messires. Elle inclina brièvement la tête et fit quelques pas avant d’entendre son ami l’interpeller. - Ne voulez-vous pas que je vous accompagne ? - Je connais parfaitement le chemin qui conduit à mes appartements Kieran, je vous remercie. - Je vous souhaite alors une bonne nuit. - Merci, à vous aussi. Ils furent plusieurs à se retourner sur le passage de la reine qui quitta la pièce sous les regards du roi, du mage et du chevalier. Quelques minutes plus tard, on ferma les lourdes portes en bois, laissant aux soins des serviteurs de faire disparaître toute trace du festin, et ce dès l’aube.
La reine demanda un conseil exceptionnel avec tous les nobles en charges des différents comptés à travers le royaume. Il tenait place dans la grande salle où Thégise rassemblait lui aussi ses conseillers sous son règne. Deux fauteuils en bois avaient été ajoutés. Dans le premier, à la droite de la reine, prenait place Gedelius et dans le second, à sa gauche, se trouvait la représentante du peuple de l’Enna, l’elfe Iuly. Annéa avait voulu garder un œil sur ce qui s’y passait, même si elle devait passer le plus clair de son temps en Alisatia. Iuly avait été celle en qui elle avait une totale confiance et elle lui avait donc confié la lourde tâche d‘administrer cette province. Pour les autres comptés, ses dirigeants étaient composés de mages, sorcières, hommes et femmes qui lui avait été conseillés par Divona lors de son ascension au trône quelques années plus tôt. Il avait fallut choisir parmi des personnes de confiance, dotés de pouvoirs ou non. La jeune femme avait fait convoquer tous ses chevaliers, ainsi que Evelyn qui serait chargé de propager la nouvelle à ses semblables. Chaque communauté vivant dans son royaume était ici représentée. Annéa leur expliqua brièvement ce qui l’avait amené à les convoquer aussi rapidement. Une fois son récit terminé, elle observa les visages des personnes présentes, tous demeuraient silencieux, certains bougeaient d’un accoudoir à l’autre de leur fauteuil, d’autres regardaient le sol, le plus âgé des fils d’Elenas qui avait en charge le compté de Kongard, prit enfin la parole, guère plus fort qu’un murmure. - Devenons-nous craindre une quelconque attaque du royaume d’Ivingar en l’absence du roi ? - Je ne le pense pas, répondit Annéa, le cousin du roi me craint. Il ne tentera rien. - Même s’il prends connaissance de votre absence ? s’inquiéta le jeune homme. - Il est vrai que cela pourrait être une ruse de sa part, admit Annéa, mais d’après les informations que nous avons récoltés, Gordon est plus malin que cela, il cherche avant tout à s’emparer du royaume d’Ivingar avant de nous attaquer. - Ne le fait-il pas en ce moment ? - Il lui faudra plus de temps que cela pour que l’armée le suive, lança Gedelius, nous avons des personnes qui nous tiennent informées des dernières rumeurs en Ivingar. - J’ai appris à ne pas douter de vous Gedelius, répondit l’homme en souriant timidement. - Combien de temps partez-vous ma reine ? fit la femme qui se trouvait en face de lui. - Je l’ignore encore, plusieurs semaines, peut être plusieurs mois. Gedelius se chargera de prendre ma place en quelque sorte. - Un royaume à besoin d’un souverain, partir plusieurs mois est risqué, lança un autre. - Phanis, soupira la reine, ce n’est pas comme si vous ne pouviez pas me joindre, je garderai le contact aussi souvent que possible, vous n’aurez qu’à vous adresser à Gedelius, aux elfes ou aux fées. - Le pays se relève doucement, peut être… - Si je n’aide pas le roi et qu’il vient à perdre sa couronne, nous pourrons craindre pour les années à venir pour notre sécurité. Mais s’il reste notre allié nous serons en paix pour longtemps et nous n’aurons pas à nous soucier de ce détail. - Soit, soupira Phanis, mais que fera votre peuple sans vous ? - Mon peuple s’en sortira sans moi pendant quelque temps, c’est pour cette raison que vous êtes là, vous tous, pour lui venir en aide s’il en avait besoin. Et vous pourrez me joindre à n’importe quel moment. Le peuple du Ronnan et de l’Enna reste ma priorité, ne l’oubliez jamais. Mais aujourd’hui, il se porte mieux, il guérit de ses blessures et le royaume se reconstruit. Nous n’avons pas à craindre la disette, les greniers se remplissent de grains, les cours d’eau regorgent de poissons, les forêts sont sûres et peuplées de gibiers, les bœufs, moutons, chèvres, oies et poules remplissent nos étables. - Vous oubliez les travaux pour assainir les villes, les constructions des routes et des chantiers navals, lança une femme à l’autre bout de la salle, vous avez commencé tout cela, qu’arrivera-t-il si vous abandonniez ? Les maladies risquent de se développer plus rapidement et il est aisé de décimer toute une population de la sorte. - Illiz, intervint Gedelius, crois-tu vraiment que la reine pourrait y changer quoique se soit si elle restait là ? - Elle montrerait qu’elle n’abandonne pas son peuple, rétorqua-t-elle. Gedelius voulut répliquer, mais Annéa tendit le bras dans sa direction pour qu’il garde le silence. Il s’exécuta après lui avoir accordé un regard et Annéa prit la parole avec calme une nouvelle fois. - Je comprends vos craintes à tous, et les tiennes en particulier Illiz, mais je ne suis au pouvoir que depuis peu de temps, vous me le répétez sans cesse. Ces travaux demandent des années de chantiers, même si l’aide des êtres magiques raccourcit considérablement les délais. Je ne peux hélas pas faire plus pour mon peuple aujourd’hui. Il me faut solidifier nos frontières et pour cela venir en aide au roi qui me la demande, pour ainsi ne plus rien craindre de lui. Je fais cela pour mon peuple, même si vous pensez que je l’abandonne face au danger ne serait-ce que quelques mois. En effet je ne serai pas ici physiquement et mes pouvoirs ne sont pas efficaces à une telle distance. Je ne pourrais donc pas vous venir en aide si une épidémie venait à se déclarer, ou si Gordon venait à prendre le pouvoir d'Ivingar et attaquait subitement. Mais c’est un risque à prendre. Nous avons considéré que c’était un danger minime et c’est pour cette raison que j’ai décidé de partir. Sachez encore que si je n’avais pas pris certains risques il y a de cela quatre ans, personne ne serait ici pour en parler aujourd’hui. - J’en ai parfaitement conscience majesté, murmura Illiz, veuillez excuser la manière dont je m’emporte. - Tu n’as pas à le faire, répondit la reine, nous avons le droit d’avoir des avis différents et jamais je ne me permettrai de les juger. Mais je vous demande à tous de me faire confiance, comme moi je vous fais confiance. Vous devrez allégeance à Gedelius en mon absence, puisqu’il parlera en mon nom. Il sera de votre devoir d’exécuter tous ses ordres que vous les jugiez appropriés ou non. Annéa se tourna vers les chevaliers et reprit la parole. - Elenas partira avec moi car il s’en est porté volontaire, nous serons accompagnés de chevaliers du roi d‘Ivingar, mais si l’un où l’autre d’entre vous veut nous suivre, qu’il le fasse savoir à votre Lieutenant. Le voyage s’avère être long et périlleux, aussi je ne donne l’ordre à personne de le faire et vous ne serez pas relevé de vos fonctions si vous décidez de rester ici. Je refuse quoiqu’il en soit que vous veniez tous afin de protéger la population du Ronnan et de l’Enna et de conduire l’armée si le besoin se fait sentir. Evelyn ? dit-elle en se tournant vers la fée qui se trouvait sur une boule transparente flottant à sa droite. - Ma reine ? - Tu as le devoir ainsi que ton peuple de veiller sur les forêts et leurs habitants, s’il se passe quoique se soit d’anormal tu te dois de m’en avertir sur le champ avant Gedelius. - Je le ferai, acquiesça la fée. - Iuly, je ne te demande rien d’autre que de veiller sur l’Enna et la flamme, comme tu le fais depuis longtemps. Si jamais vous avez besoin de moi, vous savez me contacter. - Je tâcherai de faire que tout se passe pour le mieux en votre absence, répondit la jeune femme en inclinant brièvement la tête. - Bien, soupira Annéa dans ce cas, je crois que tout a été dit. Je partirai dès demain pour le château d’Ivingar et ensuite nous nous dirigerons vers les îles du Nord, je ne peux pas vous en dire plus. Y-a-t-il encore des questions auxquelles je puisse répondre ? Personne ne broncha, et Annéa se pinça les lèvres un court instant avant de se tourner vers Gedelius. - Tout a été dit, dit-il. - Dans ce cas, ce conseil est levé, lança Annéa en quittant son fauteuil, merci à tous. La seconde d’après, ils en firent de même et baissèrent la tête sur le passage de la jeune femme. Elle se faufila au milieu des sièges et les portes furent ouvertes devant elle afin qu’elle puisse quitter la pièce sans même ralentir l'allure.
Dès l’aurore le lendemain matin le château fourmillait déjà afin que tout soit prêt pour le départ de la reine quelques heures plus tard. Celle-ci avait très peu dormi cette nuit là. Une quantité phénoménale de questions tournait en boucle dans sa tête et elle se demandait si elle faisait le bon choix. Après des heures entières à ruminer dans son lit, elle se leva, enfila une cape et s’éclipsa au sommet de la plus haute tour du château. Elle y resta un long moment à regarder le ciel à peine voilé par quelques nuages filant au-dessus d’elle. Elle regarda la lune se refléter dans l’immensité sombre qui s’étendait sous ses pieds. Il lui arrivait de lâcher des mots, tels des soupirs lasses et désespérés, mais elle n’entendait pour seules réponses que le vent s’engouffrer entre les murs épais de la demeure. Une fois encore elle se sentait seule et malgré le soutien que lui apportait ses proches, elle avait besoin de plus. Elle avait besoin d’une personne capable de lui parler sans le moindre détour, mais hélas cette personne n’était plus depuis bien longtemps et elle lui manquait terriblement. Ce ne fut que lorsque ses yeux se mirent à la piquer sans interruption qu’elle se décida à quitter la tour et à rejoindre son lit pour un sommeil court mais profond. Elle dormit très peu et se réveilla avec un horrible et intense mal de tête qui n’allait sans doute pas améliorer son humeur déjà maussade. Après un rapide détour par les cuisines, pour avaler quelques potions qui viendraient à bout de son mal, elle rejoignit les écuries afin de vérifier que tout soit prêt ou sur le point de l’être pour le départ. Trois chevaux avait déjà été sellés, Bellera était entre les mains du palefrenier quant aux quatre autres qui les accompagnaient, ils attendaient d’être chargés. La reine n’avait pas voulu s’encombrer outre mesure, c’est pourquoi, ils avaient chacun une monture qui porterai leurs affaires respectives. Ils étaient donc au nombre de huit à quitter le château de l’Alisatia, puisque quatre chevaliers s’étaient portés volontaires pour faire route avec leur Lieutenant et leur reine. Aucun domestique ne les accompagnerait pendant leur voyage, ils en avaient décidé ainsi. Après s’être assurée que tout se passait pour le mieux, Annéa rejoignit la grande salle du château. La cour s’y trouvait déjà et la salua aussitôt qu’elle pénétra dans la pièce. Elle le fit en retour avant de froncer les sourcils en regardant autour d’elle. - Le roi n’est-il pas encore là ? - Il le devrait, répondit timidement Egendall, peut être un empêchement de dernière minute. - Allez le chercher je vous prie. Egendall acquiesça et quitta aussitôt la pièce sans se retourner. Annéa se pinça les lèvres un instant, puis elle se retourna vers Gedelius et Elenas. - Tout est prêt, prévenez vos hommes Elenas et saluez votre famille. Le Lieutenant acquiesça et s’en alla vers les chevaliers qui se tenaient un peu plus loin. Pendant ce temps, Gedelius fit un pas vers la reine et lui tendit doucement deux paquets. - J’ai là ce que vous m’aviez demandé. - Merci infiniment, murmura Annéa en prenant le premier tissu sombre dans lequel avait été soigneusement enveloppé un objet d’environ trente centimètres. - Vous savez au combien il est précieux ma reine. - Je le sais Gedelius, mais je me dois de l’emporter avec moi, vous savez qu’entre mes mains il est en sécurité. - Je sais également qu’entre vos mains le sceptre d’Arkhan est le plus grand de tous les pouvoirs. En revanche, s’il venait à tomber entre de mauvaises mains, il serait le plus dangereux de tous. - Sianna ne s’en est pas servi lorsqu’elle en avait la possibilité. - La situation n’avait pas été aussi simple à l’époque. - N’ayez crainte, il ne tombera pas entre de mauvaises mains. Il pourrait être notre seule et unique chance de nous en sortir indemnes. - J’en ai conscience Annéa, mais mon devoir est de vous en avertir. La jeune femme acquiesça et fourra le sceptre encore emballé dans le sac en cuir qu’elle portait en bandoulière. Puis, elle prit délicatement le deuxième objet qui se trouvait bien plus long, mais tout aussi bien caché aux yeux des autres. Elle caressa du bout des doigts l’extrémité étincelante qui était en partie découverte avant que Gedelius ne reprenne la parole. - Veuillez excuser ma curiosité, mais puis-je vous demander pourquoi ? - En quoi pourrait bien me servir une épée Gedelius ? - Vous possédez la vôtre, celle léguée par votre mère et celle que vous connaissez dans les moindres détails, pourquoi emporter celle-ci ? - Croyez-vous aux intuitions Gedelius ? dit-elle en lui souriant. - Vous devriez me connaître à présent, répondit le mage de la même manière. - Un rêve, murmura simplement la jeune femme, j’ai le sentiment qu’elle pourrait m’être utile. L’alliage dans lequel elle a été forgée est le même que celui de mon épée, et elles sont passées toutes deux entres les mêmes mains expertes, mais elle est plus puissante que toute autre n’ayant pas été forgée en Enna. - C’est pour cette raison que votre mère l’a offerte à votre père. - Et c’est aussi pour cette raison que Thégise ne s’en est pas séparé. Mon père est mort avec cette épée, elle ne lui a donc pas empêché de perdre la vie, tout comme Thégise qui combattit pourtant avec elle. - Thégise n’en était pas digne, ajouta Gedelius, et n’importe quelle autre épée n’aurait pu sauver la vie de votre père, elle sauva néanmoins la votre et celle de votre mère. - Je le sais, et c’est pourquoi je lui accorde autant d’importance. La jeune femme fit une pause, recouvrant entièrement l’épée avant de jeter un œil à Elenas et aux autres chevaliers qui les accompagneraient. Ils saluaient leur femme et enfants par de tendres étreintes et d’interminables baisers. Annéa soupira profondément et ferma les yeux quelques instants avant de reprendre la parole. - Je ne sais pas vers quoi nous allons Gedelius, aussi, j’ai laissé plusieurs lettres dans mes appartements. Vous les trouverez dans le coffre orné de l’arbre de ma famille, sous mon lit. Veillez à ce qu’elles parviennent à leurs destinataires si jamais je ne revenais pas. - Annéa je refuse de… - Vous l’avez dit vous-même, coupa la jeune femme, je ne suis pas immortelle. Je vous en prie donnez ces lettres à qui de droit si je ne revenais pas vivante de ce périple. - Je vous le promets, acquiesça Gedelius. - Merci, répondit Annéa en souriant avant de poser une seconde sa main sur l’épaule du mage, merci pour tout Gedelius. Il se passa une fraction de seconde avant qu’elle ne se love contre lui et ne s’y blottisse de toutes ses forces. - Vous oubliez le protocole ma reine, murmura-t-il au creux de son oreille. - Aux oubliettes, vous devez me connaître à présent, dit-elle en souriant tout en s’éloignant de lui. - En effet, sourit Gedelius en retour. Ils échangèrent encore un regard avant que Annéa ne se tourne vers ses hommes qui faisaient toujours leurs adieux à leurs proches. Elle les observa tour à tour puis elle prit la parole d’une voix claire et forte. - Messieurs, voila l’heure venue pour nous de partir, les chevaux sont sellés, descendez aux écuries, le roi et moi-même nous vous y rejoindrons. Les personnes concernées s’inclinèrent et quittèrent la pièce aussitôt. Les autres chevaliers mirent un genou à terre et Annéa se tourna vers eux. - Vous avez fait le choix de rester et je vous en suis toute aussi reconnaissante, prenez soin de mon peuple et protégez le de toute menace, intérieure et extérieure en mon absence. - Oui ma reine, fit le plus haut gradé. Annéa se tourna vers Gedelius et lui accorda un dernier regard. - Je compte sur vous, dit-elle dans un murmure à peine audible. - Vous pouvez me faire confiance. - Je le sais Gedelius, je le sais, répéta la jeune femme. Elle fit quelques pas vers la famille d’Elenas qui était aussi un peu devenue la sienne aujourd’hui. Annéa sourit tendrement à Kyrah qui avait encore les larmes aux yeux. Elle se mit à sa hauteur et lui parla doucement. - Ton papa va revenir Kyrah et nous irons en forêt dès mon retour je t’en fais la promesse. Mais en attendant, il faut que tu me promettes d’être sage et de toujours écouter ta maman. Tu vas prendre soin d’elle et de tes frères et sœurs. La petite fille acquiesça sans répondre et la reine la prit dans ses bras, déposant un doux baiser dans ses cheveux. - Tu vas me manquer, murmura-t-elle avant de s’éloigner, mais je penserai à toi chaque jour. - Toi aussi, répondit timidement Kyrah. Elle lui caressa le bout du nez et se redressa, accordant toute son attention à la mère de l’enfant. - Faites attention à vous ma reine, lança Mynah. - Je le ferai et je veillerai à ce que votre époux ne prenne pas de risques inutiles. - Ce ne sont pas de risques inutiles que de veillez sur votre protection. - Je tâcherai dans ce cas à ce qu’il n’en fasse pas trop, répondit Annéa en riant. - Merci, fit Mynah de la même manière. La reine fit quelques pas vers les lourdes portes en bois restées ouvertes lorsqu’elle croisa le regard de Selena qui se tenait tout près d’elles. - Avez-vous toutes les potions dont vous pourriez avoir besoin ? demanda-t-elle de sa voix enraillée. - Eh bien plus encore Selena, j’ai également quelques herbes que je ne trouve pas à cette période de l’année en forêt. Ne vous en faites pas, j’ai tout ce qu’il me faut. - Vous me voyez rassurée ma reine. Annéa lui sourit et franchit le seuil de la porte. Elle croisa encore le regard de chacun de ses proches puis elle quitta la grande salle sans même se retourner. Toutes les personnes qui se trouvaient sur sa route s’inclinèrent en la voyant passer. Des pas rapides se firent entendre derrière elle avant de finalement s’accorder au même rythme que le sien en arrivant à sa hauteur. - Veuillez excuser mon retard, lança Kieran à bout de souffle, ais-je manqué quelque chose ? - Ne savez-vous donc pas venir à l’heure ? fit Annéa plus brusquement qu’elle ne l’aurais voulu. - Avions-nous convenu une heure précise ? - Ça n’a aucune importance, nous partons sur le champ, mes chevaliers nous attendent. - Cela me parait normal, dit Kieran le plus innocemment du monde, je suis le roi c’est à eux de m’attendre et non l’inverse. Annéa ne répondit pas mais elle sentait la colère monter en elle. Ils rejoignirent la cour où les chevaliers les attendaient à côté de leurs montures. Annéa fixa l’épée de son père dans les bagages déjà attachés aux flancs de l’animal et elle resserra le nœud en cuir qui tenait la sienne à sa ceinture. - Votre peuple ne s’offusque-t-il pas de vous voir porter des habits d’hommes en même temps que la couronne ? lança Kieran avec étonnement en la regardant de la tête aux pieds. Les femmes dans mon royaume portent des robes. - Les femmes dans votre royaume ne se battent pas et n’ont pas pour habitude de faire de longs voyages. Ici, c’est différent. Au temps où Thégise régnait sur le Ronnan, nous nous devions de porter des robes pour toutes les occasions, sous peine de sanctions. Aujourd’hui une femme est à la tête du royaume. N’oubliez pas mon statut Kieran, je suis reine et pas même vous, n’avez le droit de me dire comment mener ma vie personnelle. Je ne compte d’ailleurs pas changer quoique se soit en moi pour votre bon plaisir. - Mais que vous-ai-je fait ce matin Annéa ? lança le roi en se sentant bouillonner à son tour. - Vous n’avez rien fait, rien du tout, dit-elle en lui jetant un regard noir, vous redevenez simplement l’homme que j’ai connu il y a de cela un peu plus de trois ans, voilà tout. - Et il faudrait que je change quelque chose en moi, pour votre plaisir également ? rétorqua Kieran en riant. - Oh non, ce serait beaucoup trop demander à votre majesté d’être poli et aimable. - Et vous il vous serait impossible de vous demander d’être plus indulgente envers les autres, vous êtes pareille à une mule qui n’en fait qu’à sa tête. Je me demande lequel de nous deux se conduit finalement le plus mal avec l’autre. Annéa ne lui répondit pas, mais elle lui lança un regard noir avant de monter sur le dos de Bellera. Aussitôt après, ses hommes en firent de même. Kieran secoua la tête de gauche à droite et monta sur le cheval avec lequel il était venu quelques jours plus tôt, alors que Egendall s‘exécuta aussitôt. Ils se mirent en marche doucement, Annéa et Kieran en tête, suivis par Elenas et Egendall, puis les quatre autres chevaliers qui les accompagnaient. Le cortège s’éloignait ainsi du château tranquille. Seuls les sabots retentissaient sur la route pavée qui s’éloignait vers l’Est. Kieran et Annéa demeuraient sombres, chacun perdu dans ses pensées et ruminant les paroles de l’autre. Ils semblaient ne pas se comprendre et tous deux se demandaient si cela pourrait bien changer un jour. - La route risque d’être bien longue, murmura Elenas pour lui-même en souriant timidement.
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Et voila :)
Je m'excuse pour la mise en page catastrophique sur ce site ! Mais j'espère que cette lecture vous a plu....
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