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Annéa -D'une vie à l'autre , Chapitre 1

  • JuliaRJ
  • 21 déc. 2018
  • 64 min de lecture

INEDIT !!

Voilà, le début du premier tome d'Annéa !!! Venez découvrir l'univers du roman avec ce premier chapitre.

Annea - D'une vie à l'autre

Prologue


Les légendes et les contes bercent de nombreuses enfances dans notre monde. Certains provoquent des peurs dans le cœur des individus qui les entendent, d'autres les font rêver et d'autres encore leur transmettent des valeurs telles que le courage, l'honneur, l'amour et l'amitié. De nombreuses histoires se ressemblent mais toutes véhiculent des messages différents bien que, parfois, en apparence traitant de destins similaires. Comme de nombreuses aventures celle-ci se passe dans un temps lointain et en une terre inconnue. A chaque personne, si elle le souhaite, d'y trouver des éléments réels ou de se laisser porter par la force de sa propre imagination, de la magie et du rêve…

La forêt de Wild est peuplée d'étranges créatures. On raconte que se côtoient diverses espèces. Des elfes des bois aux traits délicats et dotés d'une très grande bonté. Ceux-ci, sont de petite taille et habitent les arbres, les fleurs et les ruisseaux. D'autres ne font que passer et poursuivent leur voyage vers une terre inconnue en faisant le bien aux Hommes qu'elles rencontrent sur leur chemin. Certains prétendent avoir aperçu de très belles femmes à la peau claire et couvertes de délicats et fins tissus ; ne sachant si elles étaient des elfes, des fées ou des prêtresses. Dans cette mystérieuse forêt d'autres créatures ont élu domicile, des animaux étonnants parés de diverses couleurs. Selon des dires ils seraient des mages et des sorcières qui observent de loin les humains en agissant quelque fois sur eux par jeux ou encore jalousie. Depuis de nombreux siècles ces deux mondes se côtoient. Pendant longtemps, ils vivaient en harmonie et les Hommes croyaient en leurs pouvoirs. Mais petit à petit leur foi s'est évanouie et avec elle tous ces êtres tombèrent dans l'oubli ne trouvant plus personne pour conter leurs merveilles. A présent, le monde dans lequel ils vivent s'apprête à changer et ainsi chaque univers va devoir compter sur l'autre pour continuer d'exister.


Le jour se levait doucement. De pales rayons de soleil passaient à travers les branches des grands arbres de la forêt de Wild. Dans une petite clairière somnolait une maisonnette faite de branchages et de planches de bois grossièrement taillées. La clairière commençait à être timidement éclairée même si elle semblait encore dormir sous un épais voile de brume. Une ombre la traversa, d'un pas lent mais léger. Une femme portait contre elle un enfant. Elle était emmitouflée sous une longue cape qui caressait les brindilles d'herbe se trouvant sur son chemin. Une capuche cachait une partie de son visage alors que l'enfant dormait paisiblement dans ses bras. Tout en le regardant, elle se dirigea vers la construction en bois. Quelques uns de ses cheveux d'un brun profond tombaient sur ses joues et des larmes naissaient aux creux de ses yeux couleur noisette. Malgré la tristesse visible sur son visage, elle souriait à cet enfant et elle déposa un doux baiser sur son front.

- Je reviendrai, le jour venu.

Elle regarda encore un instant le nourrisson qu'elle tenait tendrement contre elle et elle se baissa pour le déposer devant la porte en bois. A côté de lui, elle plaça une étoffe d'un bleu rayonnant. Il forma un petit paquet dans lequel se dessinaient les contours d'un objet.

- Au revoir Annéa.

Une de ses larmes tomba sur l'étoffe qui enveloppait le corps de sa fille. Elle ne laissa aucune trace, mais brilla un moment puis disparut. La mystérieuse femme s'éloigna et traversa la prairie. Arrivée à la lisière du bois, elle tourna une dernière fois la tête en direction de la modeste demeure. Puis, elle s'éclipsa doucement dans un souffle de vent qui balaya l'herbe de la clairière où le soleil faisait son apparition. L'aurore se dissipa et un rayon frappa le visage de l'enfant qui dormait paisiblement jusqu'à cet instant. Celui-ci se réveilla et, n'étant entouré d'aucune présence rassurante, se mit à pleurer à chaudes larmes. On entendit un bruit dans la maisonnette et une femme, alertée par les pleurs du petit être, ouvrit la porte. Elle se baissa pour ramasser son corps chétif ainsi que l'étoffe qui se trouvait à côté de lui avant de jeter un bref regard dans la prairie. Cette femme semblait âgée, les traits de son visage étaient tirés. Son corps tout entier avait souffert du travail physique pendant de nombreuses années. Un long tissu brun et déchiré par endroits, lui tombait jusque sur les chevilles, un châle élaboré à partir d'une grosse laine, recouvrait ses épaules et son dos courbé. Aux pieds, elle chaussait de vieux sabots en bois grossièrement taillés. Elle serra contre elle l'enfant pour tenter de le calmer puis, elle referma la porte derrière elle.

1. Le premier jour ...

- Iowy, ne cours pas comme ça, cria une femme à sa fillette à peine âgée de six ans qui traversait une clairière à grandes enjambées pour finalement arrêter sa course devant une petite cascade sous les arbres.

« Je ne sais même pas pourquoi je lui dis quelque chose », pensa la vieille femme. La petite fille se tourna et rit aux éclats. Elle lui sourit et se dirigea vers sa maisonnette en bois. Ses bras pliaient sous le poids du panier en osier rempli de légumes et d’étoffes, qu’elle tenait contre elle. Elle entra, laissant la petite fille toute seule. Celle-ci se tourna vers la cascade et s’assit sur un rocher au pied duquel l’eau claire semblait danser. Elle enleva ses petits sabots de bois abîmés et les posa à côté d’elle. C’était une belle petite fille, fine et grande pour son âge. De longs cheveux blonds foncés lui tombaient jusqu’au milieu du dos. Elle portait une robe brune, vieillie et déchirée par endroits avec quelques traces de boue et d’herbe. De ses grands yeux bleus elle regardait avec intérêt l’eau qui glissait sur les rochers. Son regard voyageait sur la surface lisse et claire et dans son reflet, elle vit une femme qui lui souriait. Iowy se retourna et fit face à cette femme dont elle avait aperçu le visage dans l’eau. Toutes deux souriaient sans se quitter du regard. Un léger souffle de vent balaya la clairière et caressa leur peau, emportant quelques cheveux avec lui. Il laissa voir le visage de la mystérieuse femme. Une peau d’un rose clair, sans aucune imperfection. Un fin trait noir soulignait ses profonds yeux bruns. Sa bouche rose faisait naître deux petites fossettes qui se formaient lorsqu’elle souriait à la petite fille. Autour de son cou se balançait, à une fine chaîne d’or, un pendentif en forme d’une longue goutte d’eau en nacre entourée d’un filament en argent. Les étoffes qui l’habillaient flottaient au souffle chaud de ce vent d’été. Elle portait une longue robe bleu turquoise qui commençait sur sa poitrine, laissant ainsi ses épaules nues que caressaient ses cheveux. Autour de ses bras, étaient enlacés des bandeaux de tissus passant par de nombreuses nuances de bleu. La courbe de sa taille était marquée par une ceinture basse d’un bleu aussi sombre que le ciel d’une nuit sans lune. Iowy se leva d’un bond pour accueillir son amie.

- Tu es venue ? lui lança Iowy avec un grand sourire. La femme se baissa pour être face à face avec la fillette. Elle la regarda dans les yeux et lui répondit. - Je t’avais dit que je viendrai. - Hellawes me dit que je dois pas te voir, que tu n’existes pas. Mais je te vois. - C’est normal, tu sais Hellawes ne veut que ton bien et je la comprends. - Pourquoi ? La mystérieuse femme lui sourit et passa sa main sur sa joue. Elle soupira. - Annéa… - Qu’est ce que tu dis, je m’appelle Iowy, coupa la petite fille. - Oui, pardon. C’est parce que tu ressembles à une petite fille qui s’appelait comme ça, elle sourit, viens. Elle lui prit la main et toutes deux s’assirent au bord de l’eau avant que la femme ne reprenne la parole. - Alors, comment ça va ? Raconte-moi. La petite fille sourit jusque derrière les oreilles, ravie de pouvoir raconter ce qu’il se passait dans sa vie. - Nous sommes allées au marché pour acheter à manger et nous avons vendu cinq poules. Alors nous avons encore pu acheter des tissus et Hellawes va me faire une robe avec. - Mais c’est une bonne nouvelle. Et pour quelle occasion vas-tu la mettre ? - Quand je me marierai, répondit-elle fièrement La jeune femme eut un éclat de rire et déposa un baiser sur la main d’Iowy qu’elle tenait. - Tu veux te marier avec Oregan ? - NON… avec un prince. Iowy se redressa, leva la tête et fit un délicat mouvement de main. Puis, toutes les deux rirent de plus belle. - Comment va Oregan ? - Oregan est triste. Son papa et sa maman sont partis. Je lui ai dit que maintenant ils se trouvaient avec ma maman quelque part. La jeune femme ne sut quoi dire et caressa les cheveux de la fillette avant que celle-ci ne poursuive d‘une voix plus calme. - Elle me manque ma maman. J’aurais voulu savoir si elle était belle et gentille, elle se tourna vers son amie, comme toi, finit-elle par dire. La jeune femme lui sourit et la prit dans ses bras. - Iowy, je dois te parler de quelque chose d’important. Elle regarda la petite fille qui attendait avec impatience la suite ; sa gorge était sèche et son cœur lui brûlait la poitrine. Elle ne voulait pas faire de peine à Iowy et c’était à contrecœur qu’elle lui annonça cette nouvelle. - Je dois partir. - Déjà ? Mais tu reviens quand ? - Iowy je ne reviendrai pas, je pars. Pour toujours. - Divona tu ne peux pas. Je vais être toute seule. Elle essaya de la rassurer comme elle le put, avec toute la délicatesse dont elle faisait toujours preuve. - Tu as Hellawes et ton ami Oregan, il a besoin de toi. Je suis sûre qu’ils seront toujours là. - Oui mais moi je veux être avec toi. - Je ne peux pas Iowy, dit-elle au bord des larmes, touchée par l’amour qu’éprouvait la petite fille à son égard, tu te souviens de la première fois où nous nous sommes vues ? Tu étais assise là, sur ce rocher. Divona désigna l’endroit où Iowy avait pris place auparavant, là où ses deux sabots étaient restés posés. Tu étais triste parce qu’ Oregan t’avais dit que les elfes, les fées et les mages n’existaient pas. Je t’ai répondu que le plus important n’était pas ce que les autres voulaient que tu crois mais ce que tu croyais toi. Et que si tu avais envie d’y croire, personne ne pourrait changer ce que tu ressens. Elle resta un instant silencieuse, ancrant son regard dans celui de la fillette. - Crois-moi je serai toujours là, elle désigna l’endroit où se trouvait son cœur, quoique tu fasses. Ferme les yeux, pense très fort à moi et tu me verras. - Divona, je veux pas. De grosses larmes perlaient sur les joues roses de la fillette. Divona lui sourit et la serra dans ses bras. Elle ferma les yeux et deux larmes coururent rapidement sur son visage. - Un jour tu comprendras tout, quand le moment sera venu, je serai là pour te guider. Mais maintenant je dois partir. Et tu dois m’oublier jusqu'à ce que ton destin ne t’appelle. Elle se sépara d’Iowy et lui essuya délicatement ses larmes du bout de ses longs et fins doigts. Divona se leva et souffla dans le creux de sa main. Une poudre argentée s’envola et toucha le visage d’Iowy et celle-ci ferma les yeux. La jeune femme lui murmura : - Ta maman sera toujours là. Puis, elle s’éclipsa.


Iowy ouvrit les yeux. Elle était à présent une belle jeune femme d’environ vingt ans. La peau de son visage était d’un rose clair et ses traits étaient fins. Ses cheveux blonds foncés reposaient délicatement sur l’oreiller fait de plumes d’oies. Couchée dans son lit, elle sortait doucement du sommeil. Le rêve qu’elle venait de faire; elle le connaissait dans les moindres détails, elle le faisait toutes les nuits depuis plusieurs jours. Néanmoins, elle n’arrivait pas à y apporter des modifications. Elle se sentait incapable, malgré tous ses efforts, d’y changer un geste ou une parole. Il lui semblait tellement réel mais elle tentait par tous les moyens de se dire que ce n’était qu’un rêve, et qu’elle ne connaissait aucune femme du nom de Divona. De ses grands yeux bleus, elle regardait le toit de la maisonnette fait de brindilles. Des oiseaux sautillaient sur les branchages. Le printemps arrivait et leur travail acharné depuis des semaines permettait à Iowy de voir un faible rayon de soleil pénétrer par un petit trou dans l’habitation. La jeune femme ne voulait pas se lever, elle aurait pu rester des heures entières à écouter le chant des oiseaux et à les voir s’afférer au-dessus de sa tête. Mais elle savait que du travail l’attendait et décida contre sa volonté de se lever. Elle se tourna et s’assit sur le bord du lit. D’un geste lent et endormi, elle poussa l’épaisse couverture brune qui la recouvrait. Une longue chemise blanche et trop large pour elle, recouvrait l’ensemble de son corps. Seuls les chevilles et les pieds ainsi que ses bras étaient au contact direct avec l’air. Elle bâilla longuement tout en passant sa main dans ses cheveux emmêlés. Son regard se perdit dans l’espace qui l’entourait. A coté du lit où elle se tenait, se trouvait une autre couche, vide. La couverture bien pliée reposait sur l’oreiller d’un blanc un peu crémeux. Une petite bougie largement consumée, était placée sur un bougeoir en pierre brune posé sur une longue table en bois au milieu de la pièce. Deux bancs en bois également, fait d’épaisses planches, étaient disposés de part et d’autre de celle-ci. Sur le mur opposé à Iowy, était construit une cheminée en petites pierres sombres et irrégulières, dans laquelle brûlait un faible feu. Dans l’antre, au-dessus des bûches qui se consumaient doucement, se trouvait suspendue à un crochet en métal épais, une marmite ronde en fonte. Un petit meuble reposait à côté de la cheminée. Il avait un tiroir et deux portes dont l’une d’elle ne fermait pas complètement. Sur ce meuble étaient posées une grande assiette et une cruche d’eau, toutes deux élaborées à partir d’une matière brune semblable à l’argile. Les yeux d’Iowy se posèrent enfin sur la petite porte en bois derrière laquelle lui semblait venir des bruits de pas sur le feuillage. Une vieille femme ouvrit la porte et la regarda. Elle était petite mais elle avait beaucoup de force dans les bras, puisqu’elle portait un panier d’où dépassaient quelques légumes et deux bûches. Ses cheveux gris rassemblés en un chignon serré, n’empêchaient pas quelques mèches folles de s’échapper. Elle portait une robe avec de longues manches d’un gris moyen où certaines parties semblaient avoir été recousues grossièrement. Malgré son âge et la fatigue visible sur son visage, elle souriait largement à la jeune femme. - Alors, on est réveillée princesse ? Iowy fit une grimace. - Pendant que mademoiselle dormait, j’ai cherché quelques légumes dehors, dit-elle en sortant deux poireaux quelques carottes et un chou du panier, et j’ai lavé et étendu du linge. - Oui, oui … je sais, dit Iowy sur un ton blasé. Hellawes sourit de plus belle et reposa les légumes dans le panier. Puis, elle se dirigea vers la cheminée et y mit les deux bûches. Elle se tourna vers le meuble abîmé et en sortit une chemise ainsi qu’une petite boîte en bois. Ensuite, elle alla s’asseoir sur le banc à la table. Iowy l’observa sans dire un mot. Tout en ouvrant la boîte et en y fouillant à l’intérieur, elle s’adressa à la jeune femme. - Tu iras au village pour le marché tout à l’heure, voir si tu peux vendre quelque chose. Il faudra aussi que tu demandes une échelle à Oregan pour monter sur le toit et arranger ça, dit-elle en désignant d’un bref mouvement de tête le trou fait par les oiseaux. - D’accord, répondit simplement la jeune femme. Iowy se leva et se dirigea vers le meuble qu’avait ouvert Hellawes quelques instant plus tôt. Elle versa de l’eau qui se trouvait dans la cruche dans l’assiette et, avec ses mains, l’appliqua sur son visage. Ce geste réveilla Iowy. L’eau était glacée car elle provenait de la petite cascade à l’orée du bois, à côté de la clairière où se trouvait la maisonnette de son enfance. Elle prit un morceau d’étoffe posé à proximité et s’essuya délicatement le visage. Ensuite, elle se dirigea vers le lit, se déshabilla et passa une robe brune et beige qui s’y trouvait posée. Celle-ci lui arrivait plus bas que la chemise, elle touchait presque le sol. De larges bretelles recouvraient presque entièrement ses épaules. Elle passa de manière énergique sa main droite dans ses cheveux pour essayer tant bien que mal à les discipliner. Lorsque le résultat lui sembla satisfaisant, elle glissa ses pieds dans les sabots de bois qui se trouvaient sous le lit. Puis, elle ramena la couverture d’une geste rapide sur son oreiller qu’elle tapota à vive allure. Ensuite, Iowy se tourna vers la table et prit le morceau de pain que lui tendait Hellawes. - Merci, dit elle avec un sourire amusé. Elle engloutit rapidement son met délicat et prit le panier posé sur le banc à côté d’elle. - A toute à l’heure, chantonna Iowy. - Mmh… tu diras à Oregan de venir chercher sa chemise, fit la femme concentrée sur sa tâche sans qu’elle ne daigne même lever les yeux vers elle. Iowy sourit et sortit. Elle la laissa seule, assise dans la petite maisonnette où elle recousait comme elle le pouvait, et avec difficulté, une chemise plus courte que celle que portait la jeune femme auparavant. Elle ferma la porte avant de s’arrêter sur le seuil de la maison d’où elle pouvait voir l’ensemble de la clairière. Il faisait beau. Le soleil brillait dans un beau ciel bleu azur. Un léger souffle de vent encore un peu frais balaya la clairière. L’hiver avait enfin prit fin et Iowy était d’humeur joyeuse à l’arrivée des beaux jours.

Elle prit un chemin de terre vers la forêt, toujours avec son panier sous le bras. Iowy marchait rapidement et la tête en l’air. Elle repensait au rêve qu’elle faisait sans cesse. Elle n’avait aucune réponse. Plusieurs jours qu’elle se torturait l’esprit pour trouver quelque chose, mais rien à faire, elle n’y parvenait pas, pas la moindre explication.

Le voyage de la maisonnette à la sortie de la forêt ne dura que quelques courtes minutes. A présent, elle voyait le village qui se trouvait au pied de la colline. De certaines cheminées, s‘échappait de la fumée claire. La jeune femme s’arrêta un instant. Là où elle se tenait, il lui était possible d’apercevoir quelques silhouettes entre les maisons ainsi que des fragments d’étales du marché sur la place au centre du village. Elle descendit de la colline et arriva à son entrée. Là, Iowy croisa des enfants qui jouaient tranquillement. - Je vais t’attraper, lança le premier. - Noooooon, cria le second. Un petit garçon âgé d’environ huit ans, coursait avec intérêt une fillette du même âge. Iowy sourit, repensant aux jours où elle avait eu, elle-même cet âge là, lorsqu’elle ne se souciait pas de la folie que le monde connaissait. Alors qu’elle s’apprêtait à poursuivre son chemin, le petit garçon trébucha sur une pierre et tomba sur le sol encore froid et dur. - Tu m’as pas eu, lança la fillette en riant. Il ne lui répondit pas et pleura à chaudes larmes. Iowy émue, s’approcha de lui et posa son panier au sol. - Calme toi, lui dit-elle doucement. Tu as mal ici ? demanda-t-elle en regardant son genou écorché où perlaient quelques gouttes de sang. Il lui répondit que oui par un mouvement de tête. - Regarde, je vais souffler dessus et tu ne sentiras plus rien, je te le promets, Iowy lui sourit et souffla délicatement sur le genou du petit garçon qui cessa doucement de pleurer, tu vois ? Ça va aller mieux maintenant. Il fut pris encore de quelques sanglots. - Merci. Puis, il se leva et partit poursuivre ses jeux avec les autres enfants. Iowy se leva également, elle prit son panier et se dirigea vers le marché où elle devait vendre ses légumes et acheter d’autres provisions dont elle avait besoin. Elle passa devant de petites maisons faites de pierres d’un gris très sombre. Les toits étaient élaborés à partir de branchages ou de fines planches de bois. Devant certaines demeures somnolaient chèvres, cochons ou chevaux pour les plus aisés, derrière de longues barrières faites de rondins de bois. Quelques tas de fumier à l’odeur forte, embaumaient la rue qu’empruntait Iowy. Elle croisa des oies et des canards sur le chemin de terre sèche. Le temps plutôt clément de ces derniers jours avait empêché la formation de boue sur les routes et les chemins, les rendant ainsi praticables. A présent, la jeune femme était arrivée sur la place où se tenait le marché hebdomadaire. Elle passa devant les étales faites de planches de bois et fit une halte chez le vendeur de pain. - Bonjour Iowy, lui lança l’homme. Il avait un regard vif et sympathique. Plutôt de corpulence petite et ronde, une longue barbe noire reposait sur sa poitrine. Il avait les cheveux épais et ondulés qui tombaient sur ses larges épaules. - Bonjour, comment allez vous aujourd’hui ? fit Iowy avec un sourire. - Comme on peut, grommela l’homme, me prends-tu quelque chose ? - Je suis navrée mais je viens d’arriver, je n’ai pas encore vendu mes légumes. Je passerai à mon retour. - Oui je comprends, il soupira, je n’ai plus beaucoup de clients. Tout est trop cher de nos jours et puis le royaume s’appauvrit de plus en plus, ça devient désespérant, qu’allons-nous laisser à nos enfants ? Iowy lui sourit d’un air navré. - A tout à l’heure peut être, lança-t-elle. L’homme ne répondit pas mais sa barbe frémit sous l’effet du mouvement de sourire qu’il accorda à la jeune femme. Puis, il s’empressa de servir une cliente qui avait hésité un long moment en comptant les pièces dans sa main. Iowy quant à elle poursuivit sa route. Elle regardait les étales quasiment vides. Il avait raison, on trouvait de moins en moins de choses depuis quelques temps. Depuis que le roi Thégise avait prit le pouvoir dix-neuf ans plus tôt, le royaume s’appauvrissait au profit de son enrichissement personnel. Iowy se rappelait étant enfant, Hellawes et elle avaient des poules qu’elles vendaient au marché contre de la farine, du poisson, des légumes ou encore des étoffes. Mais aujourd’hui, le peuple ne mangeait plus à sa faim et tous devaient s’entraider pour survivre.

A présent, Iowy avait traversé la petite place circulaire. Elle s’arrêta devant une bâtisse en construction. Elle était arrivée à l’étale que tenait Katryn, là ou elle vendait ses légumes. Son amie était une jeune femme âgée de presque trente ans, belle, plutôt grande et fine. Ses longs cheveux d’un blond aussi doré que les rayons du soleil, étaient enlacés en une longue natte qui lui tombait jusqu’en bas du dos. Elle portait une chemise blanche, courte, sur laquelle elle avait mis un bustier fermé par de fines cordelettes noires ainsi qu’une longue jupe, tous deux d’un rouge pourpre. Katryn était la sœur aînée de son ami Oregan. Elle s’était occupée de lui à la mort de leurs parents lorsqu’ils n’étaient encore que des enfants. Dès lors, tous deux vivaient à l’auberge du village où Katryn travaillait comme serveuse depuis ses seize ans. - Bonjour, lui dit Iowy en souriant. - Iowy, je t’attendais depuis un moment. - Je suis là. - Alors, qu’as-tu à me proposer ? demanda Katryn en regardant dans le panier qu’Iowy venait de poser sur le bord vide de l’étale. - Trois poireaux, cinq carottes et un chou, répondit Iowy d’un ton empli de lassitude. Elle sourit timidement à son amie. - Je suis navrée, je n’ai rien de plus. - C’est vrai que ce n’est pas beaucoup, admit Katryn, je t’en donne trois Palix et deux Mixess. - QUOI ? C’est tout ? s’indigna la jeune femme, avec si peu j’ai à peine de quoi avoir trois cent grammes de farine de seigle et peut être la moitié d’un pain. - Je suis désolée Iowy, je ne peux pas t’en donner d’avantage. Iowy était désemparée, avec si peu, elle ne pouvait presque rien acheter. « Autant garder mes légumes et les manger moi-même. » Se dit-elle. - Très bien, finit par dire à contrecœur Iowy. Katryn plongea la main dans la besace en tissu qu’elle avait en bandoulière et en sortit quatre pièces qu’elle fourra dans la main de son amie. Celle-ci les laissa glisser dans une petite poche de sa robe. Son regard se posa sur un édifice en construction. Les murs étaient élaborés à partir de pierres sombres très répandues dans cette partie du royaume. Le soleil dont l’éclat se reflétait sur leurs surfaces rugueuses, leur donnait des reflets argentés, presque envoûtants. Une charpente en bois entourait la construction et les quatre ouvriers qui y travaillaient, peinaient à disposer des rondins de bois les uns sur les autres pour pouvoir poursuivre les travaux. La bâtisse s’élevait à peine à plus de deux mètres du sol et Iowy se demanda quelle en serait la hauteur finale et si elle la verrait achevée un jour. - Crois-tu qu’ils la finiront bientôt ? demanda Iowy à Katryn sans détacher son regard des travailleurs. Son amie posa les légumes qu’elle tenait et leva les yeux vers le point le plus au haut de la construction. - Je ne sais pas, elle resta un moment silencieuse, sans doute jamais. Iowy fut surprise par sa réponse et tourna la tête vers elle. - Pourquoi dis-tu cela ? - Notre roi interdit les constructions de ce genre. Iowy fit la moue. - Je ne vois vraiment pas en quoi elle peut le déranger. - Elle non. Mais c’est une nouvelle croyance qui est née loin d’ici. On m’a raconté qu’on y loue un homme mort pour sauver les autres et il est considéré comme un roi chez eux. Thégise ne veut partager sa place avec qui que se soit. Iowy secoua la tête. - Ce roi, soupira-t-elle, j’espère qu’il sera renversé pour qu’on puisse au moins vivre en paix. - Beaucoup seraient de ton avis mais évite de le dire, Iowy. Elle lui lança un regard autoritaire avant de poursuivre, voyant que son amie attendait patiemment la suite. - Il vaut mieux se tenir tranquille en ce moment. Hier, est arrivé du Nord un voyageur. Je l’ai accueilli dans l’auberge tard dans la nuit. Il m’a raconté que le roi envoie des cavaliers dans tout le royaume pour y faire régner l’ordre. Et avec cette nouvelle croyance, la voix de Katryn n’était à présent plus qu’un murmure, il paraîtrait même qu’une sorcière les accompagne. Iowy regardait son amie penchée vers elle. Elle n’en croyait pas un mot et prenait cette discussion à la légère. Elle lui répondit sur un ton désinvolte. - Ah oui ? Pourtant, ils ne sont pas encore là, mais qu’ils se dépêchent pour faire taire tout ceux qui voudraient se révolter. - Iowy ce n’est pas drôle. - Katryn, ce roi est un lâche et si il continu de nous affamer il n’aura bientôt plus de peuple à gouverner. De plus, je ne crois plus aux histoires de sorcières. Katryn soupira, pensant qu’il était inutile de perdre son temps à essayer de la résonner. Iowy, quant à elle, prit son panier vide et s’apprêta à partir, mais elle se tourna une dernière fois. - Au fait, sais-tu où se trouve ton frère ? Il doit me donner une échelle pour réparer le toit et Hellawes a recousu sa chemise, il doit venir la chercher. - Je ne sais pas où est Oregan. Je ne sais jamais où il est, répondit-elle sur un ton plus léger. - Si tu le vois, peux-tu lui dire que je le cherche ? Je rentre avec ma fortune, dit-elle en souriant. - Très bien, je lui dirai, au revoir. Katryn fit un mouvement de main à Iowy qui reprit le chemin du retour. Elle regarda une dernière fois l’édifice qui s’élevait péniblement devant elle, pensant de tout cœur que, s’il existe, ce roi soit meilleur avec son peuple que n’est le sien.

Elle traversa une nouvelle fois la place du village, s’arrêtant à l’une ou l’autre étale en regardant avec envie les objets et les mets disposés. Iowy se dirigea vers une marchande d’étoffes dont elle croisait le chemin de temps en temps au printemps. Elle voyageait toute l’année avec sa roulotte en bois tirée par un vieux cheval imposant. La jeune femme admirait les étoffes exposées devant elle sur le petit présentoir de fortune, devant cette modeste demeure qui la menait par delà les montagnes, les rivières et les forêts. Des robes s’y trouvaient pliées ainsi que des chemises en tissu fin, des pantalons et des toiles de différentes longueurs et épaisseurs. L’étale était parée de milles couleurs. Iowy n’avait jamais vu un pareil spectacle, il lui semblait même que c’était la première fois depuis longtemps qu’elle voyait cette étale aussi remplie. Mais ce qui attira plus particulièrement le regard de la jeune femme, était une étoffe de petite taille, peut être à peine assez grande pour recouvrir ses épaules. Elle était fine et délicate, d’un bleu chatoyant. De fins fils d’argent étaient tissés, ce qui lui donnaient de sublimes reflets. Elle aurait voulu pouvoir l’acheter, mais elle devait être chère. Pendant un long moment, perdue dans ses pensées, elle s’imaginait portant une longue robe bleue pâle tissée avec mille filaments d’argent comme ce tissu. Elle porterait cette étoffe pour recouvrir soigneusement ses épaules face au timide souffle du vent de l’été qui se faisait tout proche. La marchande sortit Iowy de ses pensées. - Elle est belle n’est ce pas ? lui lança-t-elle d’une voix douce accompagné d’un sourire. La jeune femme détacha enfin son regard de l’étoffe et regarda la femme qui se tenait face à elle, toutes deux séparées par cette rivière de couleurs. Elle lui accorda un immense sourire qui égaya un peu plus son visage duquel s’émanaient une immense bonté et une joie de vivre débordantes. Elle était bien plus petite qu’Iowy et elle la regardait de ses yeux verts empli de malice. De longs cheveux épais et bouclés tombaient sur ses épaules étroites. - Oui, elle est magnifique, finit par répondre Iowy en jetant un regard au tissu soigneusement plié. - Une telle couleur est rare. Si pure, si envoûtante et pourtant, fraîche et légère. Iowy ne répondit pas et s’apprêta à passer sa route. - Vous semblez beaucoup l’apprécier demoiselle, poursuivit la femme. - Euh… oui, bredouilla Iowy, mais je ne peux pas l’acheter, je suis navrée. Veuillez m’excuser d’avoir prit de votre temps. Au revoir et bonne route. - ATTENDEZ, cria-t-elle. Iowy fit volte face et regarda la marchande qui lui souriait toujours. - Je vous l’offre. La jeune femme ne sut quoi répondre et resta bouche bée. Elle connaissait à peine cette femme et celle-ci voulait lui offrir une étoffe précieuse et rare. Cela lui semblait tellement invraisemblable. Une étoffe digne d’un reine ne pouvait pas être portée par une jeune femme qui ne possédait même pas assez de terres à cultiver. La femme se pencha sur son étale, quelques unes de ses mèches indisciplinées dansèrent sur des étoffes rouges, or ou encore vertes. Elle prit délicatement le tissu bleu entre ses longs et fins doigts osseux. - Je…, commença Iowy. Mais elle lui coupa la parole aussitôt. - Voyons Demoiselle, vous a-t-on appris les bonnes manières ? Un cadeau ne se refuse pas, se serait pris comme une offense pour celui qui accepte de vous l’offrir, dit-elle avec un sourire. Elle plia le tissu et le posa dans le panier vide que tenait la jeune femme serré tout contre son ventre. - Merci, répondit Iowy avec un sourire sur les lèvres. - Ce n’est rien, vous semblez tellement être attirée par lui. - Oui c’est étrange, elle se tut un moment, mais je n’ai jamais rien vu de semblable. D’où provient ce tissu ? La marchande sourit avant de reprendre la parole. - Je ne peux pas vous le dire, murmura-t-elle, mais sachez seulement qu’il a sans doute été tissé pour vous. Il relève parfaitement le bleu de vos yeux. Iowy rougit, se sentant flattée par sa remarque. - Encore une fois, merci. - Au revoir Demoiselle, je vous souhaite une agréable journée. - Bonne journée à vous aussi, au revoir. Iowy reprit sa route pour poursuivre son marché. La femme la suivit des yeux jusqu’au moment où elle disparut dans la foule. - Enfin, murmura-t-elle avant de se mettre à rassembler certaines étoffes. Toujours sous le coup de la joie et de l’étonnement, Iowy regarda le fin tissu posé dans son panier. Elle se dirigea d’un pas léger vers le boulanger qu’elle avait vu plus tôt dans la matinée. A présent, de nombreuses personnes se bousculaient devant son étale presque vide. La jeune femme se fraya un passage jusqu’à l’homme et, jouant du coude à coude, elle y parvint enfin tant bien que mal. Bien qu’ils furent à quelques centimètres l’un de l’autre, ils devaient se parler fort pour se comprendre. Le bruit de la foule dense couvrait le timbre de leur voix. - Iowy, lui lança-t-il à bout de souffle. - Que se passe-t-il ? Pourquoi y a-t-il tant de monde à présent ? - Je propose mon pain moins cher, de cette manière je pourrai tout vendre dans la matinée. Iowy ne vit pas où il voulait en venir et il poursuivit ses explications, remarquant que la jeune femme ne suivait pas son résonnement qui lui semblait si évident. - Les gens ne me l’achètent plus au prix fort et ils viennent tous au moment de la baisse des prix, c’est une idée qu’a eu mon épouse. Vois-tu cette idée était grandiose, j’arrive à tout vendre. Mais je ne sais plus où donner de la tête à présent. Iowy sourit, rassurée de constater que la situation n’était pas plus grave que cela. - Je vais en profiter moi aussi dans ce cas, dit-elle en souriant au sympathique homme, donnez moi un pain, s’il vous plaît. Elle mit deux pièces en bronze dans la main qu’il lui tendait déjà. Puis, il prit un pain bien rond et lui donna. Elle s’en empara rapidement et le mit dans son panier. - Au revoir, à bientôt, et bonne chance. - Au revoir Iowy, merci. De grosses gouttes perlaient sur son front dégarni, il les essuya de sa manche droite et servit les clients qui s’impatientaient. La jeune femme s’estimait extrêmement chanceuse ce matin là. Elle s’extirpa de la foule en refaisant rapidement les calculs dans sa tête. Avec ce qu’il lui restait, elle pouvait acheter un poisson. Hellawes en serait sans doute ravie puisqu’elles ne mangeaient que très rarement des produits de la mer, bien trop chers pour leur petite bourse. Iowy éprouvait de la joie à l’idée de pouvoir faire plaisir à la femme qui l’avait élevé. Elle aimait par-dessus tout faire plaisir aux personnes qui l’entouraient, pour elle c’était une manière de leur prouver qu’elle les aimait même si ce n’était que par de toutes petites attentions. Ainsi, elle prit le chemin du poissonnier de l’autre côté de la place. Le poisson était l’un des mets les plus chers, bien qu’étant à quelques minutes de la côte, il était très rare dans les assiettes des habitants les plus pauvres de la région. Iowy salivait déjà à la pensée d’un bon repas; du poisson frais accompagné d’un poireau et de deux carottes. Elle s’en réjouissait d’avance et imaginait le goût que cela pouvait avoir. Elle l’avait oublié depuis le temps qu’elle n’en avait plus mangé. Hellawes sans doute aussi ne savait plus ce que cela faisait de savourer un produit venant de l’Océan. La joie d’un futur repas conduisit rapidement Iowy de l’autre côté du marché. Elle marchait vite et d’une extrême légèreté du haut de ses longues et fines jambes fuselées. Comme à son habitude, perdue dans ses pensées, elle n’était plus réceptive au monde extérieur, de telle sorte qu’elle ne fit pas attention à l’homme qui sortit de la taverne à proximité de laquelle se trouvait le poissonnier. Ainsi, Iowy ne put éviter la collision. Elle vacilla sous la force de l’impact. Mais elle reprit rapidement ses esprits à ce réveil brutal et regarda ce qu’elle avait heurté de plein fouet. Elle venait de rencontrer une montagne, une main énorme se tendit pour l’attraper par le bras afin d’éviter sa chute. - Attention. Regardez où vous marchez, imprudente. - Pa… pardon, articula la jeune femme. Elle regarda l’homme qui était sorti de la taverne. Il semblait âgé mais son corps était fort et puissant. Il était bien plus grand qu’elle puisqu’il devait mesurer presque deux mètres. Il avait un ventre rond qui remplissait sa tunique verte foncée, des bandes de perles se trouvaient brodées à ses extrémités. Une barbe blanche ondulait sur sa poitrine et de longs cheveux argent formaient de petites vagues sur sa tête et reposaient sur ses larges épaules. Iowy ne se rappelait pas avoir déjà vu un homme pareil. Il ne ressemblait pas aux gens de la région. Il dégageait un grand respect et une force qu’elle ne sut identifier. Il la regardait de ses profonds yeux bleu clair. Son long nez pointu était accentué par les fossettes qui marquaient son visage. Il accorda un sourire bienveillant à Iowy. Il lâcha doucement son bras qu’avait tenu jusqu’à présent sa main puissante et carrée. Iowy y remarqua de nombreuses cicatrices et elle se demanda quel avait pu être son métier, pour avoir un corps si abîmé. Il lui parla d’une voix douce et grave à la fois. - Ce n’est pas grave Demoiselle, veuillez m’excuser, je n’ai guère d’heures de sommeil derrière moi et je suis grincheux quand je ne dors pas assez. Iowy fut surprise par ce brusque changement de réaction et ne sut quoi répondre. - Oui, je suis venu hier soir, alors vous comprenez… « C’est pour cette raison qu’il me paraît étrange. Ca doit être l’homme venu du Nord. » Pensa la jeune femme. - Oh non c’est de ma faute, je rêvais, pardonnez-moi. - Si c’est pour cette raison, je ne vous en veux pas. C’est important de rêver, si vous voulez mon avis, les gens de nos jours ne rêvent plus assez. Ils se trouvent enfermés dans leur quotidien et n’imaginent plus, ne regardent plus les merveilles qui les entourent, parfois même ils les détruisent. Je trouve tout ceci dommage, ne pensez vous pas ? finit-il en soupirant bruyamment. - Oui, vous avez sans doute raison. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, reprit Iowy après un instant passé en silence, mais l’on va m’attendre, je ne devrais pas m’attarder. Merci monsieur et passez une agréable journée. - Bonne journée à vous également, et si je peux vous donner un petit conseil : regardez où vous mettez les pieds. Il lui fit un clin d’œil qu’il accompagna d’un sourire avant de s’en aller. Iowy le vit encore un moment dépasser de quelques centimètres les autres personnes puis, il fut englouti par la foule des villageois. Elle avança jusqu’à l’étale du poissonnier et demanda le plus gros poisson qu’elle pouvait payer. A son grand regret, il n’était de loin pas le plus grand qui se trouvait sur le présentoir en bois. Elle donna le reste de monnaie à la marchande et estima que le temps était venu pour elle de rentrer. Le poisson emballé et posé dans son panier, elle traversa la place qui se vidait peu à peu de ses occupants. Marchands et clients rentraient chez eux retrouver famille et calme en leur demeure, aussi modestes fussent-elles, pour quelques minutes avant de repartir pour les travaux des champs. Iowy échangea quelques bonjours amicaux avec certaines personnes qu’elle connaissait puis, elle arriva enfin à la sortie du village en prenant le chemin qu’elle avait emprunté un peu plus tôt dans la matinée. Elle vit les mêmes enfants que précédemment. La fillette était assise sur une pierre sombre et riait en regardant deux autres enfants jouer avec un chien noir. L’un d’entre eux était celui que la jeune femme avait consolé. Il ne semblait plus avoir mal. Il courait joyeusement comme si rien ne s’était passé. Le petit garçon la vit et courra dans sa direction. Il s’arrêta devant elle et lui montra son genou. - Tu as vu ? Je n’ai plus rien, dit-il avec un sourire. Iowy lui sourit également et regarda sa jambe. Mais à son grand étonnement il disait vrai. Le genou écorché d’où s’étaient écoulées quelques gouttes de sang était parfaitement propre, sans aucune plaie. « Il devrait y avoir un marque, c’est impossible. » Pensa Iowy alors que l’enfant partait en courant pour rejoindre ses camarades de jeux. Il la laissa abasourdie par ce qu’il venait de se produire. Après quelques temps, elle tourna les talons et emprunta le petit chemin qui la menait vers la forêt, la laissant pensive quant à la matinée qui venait de s’écouler.


Le soleil avait déjà largement entamé sa course dans le ciel bleu lorsque Iowy réapparut dans la clairière où trônait la maisonnette de Hellawes. Elle était partie depuis un long moment, car beaucoup de choses inattendues avaient changé le quotidien de la jeune femme. Lorsqu’elle la vit, la vieille femme remarqua immédiatement que quelque chose d’inhabituel s’était produit. Elle était penchée à la petite cascade lorsqu’Iowy arriva devant la maison. La jeune femme, trop heureuse à l’idée de savourer un succulent repas le soir même, se dirigea vers la vieille femme. Elle avait hâte de lui raconter tout ce qu’il s’était passé ce matin là. Hellawes courbait son dos pour recueillir l’eau claire dans une cruche en terre cuite. Elle se retenait à la roche rugueuse avec sa main gauche abîmée par l’âge et le travail de toute une vie. Sa fine peau laissait voir son ossature ainsi que ses veines. Sans même lever les yeux, elle s’adressa à Iowy qui se tenait, à présent, à côté d’elle. - Tu en as mis du temps. Es-tu encore restée à inventer des histoires avec Katryn et Oregan ? - Non, fit joyeusement la jeune femme, je t’ai apporté quelque chose, ce qui m’a valu un détour et ce retard. La cruche à présent pleine, Hellawes la posa au sol et s’essuya les mains dans le tablier qu’elle portait autour de sa taille. Iowy quant à elle, prit le poisson qui reposait dans son vieux panier dont l’anse entourait encore son avant-bras. Elle le présenta à la vieille femme en le posant sur ses mains, qu’elle tendait vers elle. Celle-ci intriguée, se pencha pour voir de plus près, de ses yeux fatigués ce que lui exposait Iowy. - Qu’est ce que c’est ? Du poisson ? finit-elle ne relevant la tête d’un geste brusque. Iowy lui répondit par un mouvement de tête approbateur et un sourire qui se finissait bien loin derrière les oreilles. Mais Hellawes ne souriait pas le moins du monde. - Comment l’as-tu eu ? Iowy ne me dis pas que vous l’avez volé, dit-elle dans un souffle. Le sourire qui illuminait le visage de la jeune femme s’éteignit doucement. Hellawes se comportait avec elle comme si elle n’était encore qu’une enfant. - Non. Je l’ai acheté avec l’argent que j’ai reçu de Katryn pour les légumes. - Mais, c’est impossible, il n’y avait presque rien. As-tu oublié le pain ? - Non. Je l’ai eu pour bien moins cher qu’à l’habitude. J’ai même le sentiment que Katryn m’a donné un peu plus d’argent qu’il ne fallait. - Très bien, se résigna Hellawes en prenant le poisson. Nous le mangerons ce soir au souper, avec quelques légumes. Elle se pencha pour prendre la cruche qu’elle avait posé à ses pieds. Iowy sortit délicatement l’étoffe qui reposait soigneusement dans son panier. Elle posa celui-ci sur le sol et s’adressa à la vieille femme qui se redressait péniblement. - Regarde ce qu’une marchande m’a offert. Hellawes, à présent aussi droite qu’elle le pouvait, leva les yeux vers les épaules d’Iowy, là où se trouvait délicatement posé le fin tissu. La jeune femme fit un tour sur elle-même pour bien laisser voir à la veille femme son trésor. Ses cheveux volaient, tels des filaments d’or aux rayons du soleil. - Elle est belle n’est ce pas ? dit-elle en s’arrêtant face à Hellawes. Celle-ci ne sut quoi répondre. Son regard se perdit dans le bleu chatoyant et les filaments argentés de l’étoffe. Ce tissu si particulier, elle ne l’avait vu qu’une seule fois auparavant, bien des années plus tôt, par un frais matin de printemps. Elle lâcha la cruche qu’elle tenait pourtant fermement dans sa main. L’objet se brisa sur le rocher noir au bord de l’eau. Son contenu glissa rapidement sur la surface lisse de la pierre pour pénétrer dans la terre sèche. Hellawes demeura muette. La jeune femme en face d’elle la regardait avec de grands yeux ronds, ne comprenant pas ce qu’il se passait. - Mais, qu’y a t-il ? demanda-t-elle d’une voix qui avait perdu toute trace de joie éprouvée quelques minutes plus tôt. Elle l’observait, inquiète, le visage grave et attendant impatiemment une réponse de la part de la vielle femme. Hellawes se décida enfin à parler. Sa voix était faible, sa gorge sèche, les mots parvenaient difficilement à franchir la barrière rose de ses fines lèvres abîmées. - D’où as-tu eu ceci ? - Je te l’ai dit, c’est une marchande qui me l’a donné. Elle vient au marché de temps en temps, je l’avais déjà vu. Elle voyage en roulotte, avec un grand cheval gris. Tu l’as sans doute aperçu plus d’une fois. - C’est impossible, murmura Hellawes. - Quoi ? demanda Iowy qui avait entendu ce faible murmure. - Enlève ça tout de suite, dit-elle sur un ton sec. Ce n’est pas pour toi ce genre d’étoffe. Je ne veux plus te voir avec, c’est compris ? - NON, s’indigna la jeune femme, qu’a-t-il bien pu te faire ce tissu ? Hellawes s’approcha d’Iowy et lui serra fermement le bras. Elle la regarda dans les yeux d’un air menaçant. - Enlève-le Iowy. Brûle-le et ne le montre à personne. Pour ma part, je ne veux plus le voir, m’entends-tu ? - Pourquoi ? - Ecoute-moi jeune fille. Fais-moi confiance, tu ne dois plus le porter. - Mais dis moi, pourquoi ? Hellawes lâcha enfin prise. Elle se baissa et se saisit du vieux panier en osier. Iowy resta bouche bée, ne sachant quoi faire. Elle retira l’étoffe et la regarda un moment, se demandant pourquoi la vielle femme avait réagi de cette manière en la voyant. Hellawes prit le chemin de la maisonnette, le panier sous son bras. Iowy se retourna brusquement. - Je le garde. Que tu le veuilles ou non, il est à moi, on me l’a offert et je veux le garder. Elle avait parlé d’une voix claire et forte, sur un ton plein de détermination. Hellawes s’arrêta mais ne se retourna pas. Elle ferma les yeux quelques instants. Elle avait craint ce moment, depuis des années. Mais malgré tous ses efforts, il arriva, sans crier gare. - Très bien, dit-elle, après tout, c’est ton choix. Mais fais bien attention à toi, Iowy. La jeune femme fronça les sourcils ne sachant pas où elle voulait en venir, puis, elle poursuivit. - Ramasse les éclats, dit-elle en désignant la cruche brisée, ensuite, tu iras chercher des branchages pour le toit lorsque Oregan arrivera. La vieille femme continua sa progression vers la maisonnette, elle y entra et referma la porte sur ses pas. Iowy resta seule à côté de la cascade, la tête baissée, elle regardait le sujet de discorde entre elle et la femme qui l’avait élevé. Elle ne comprenait pas ce que Hellawes avait voulu dire, mais elle était décidée à ne pas céder cette fois-ci. Elle prit les deux extrémités de l’étoffe puis, elle les passa autour de sa taille, elle les croisa dans son dos et les noua ensembles sur sa hanche droite. Ensuite, elle se tourna vers la cascade. L’eau coulait doucement sur les rochers sombres. Paisiblement, comme si rien ne pouvait troubler son calme, pas même la dispute qui venait d’éclater entre les deux femmes. Iowy souleva d’un geste franc le bas de sa robe, puis s’agenouilla sur le sol. De ses longues et fines mains agiles, elle rassembla les trois éclats de la cruche qui avaient fini leur course dans l’herbe fraîche du printemps. Elle les posa délicatement à côté du rocher où la cruche avait perdu ses formes. Avec sa main gauche, elle se tenait à celui-ci, puis de la droite elle effleura l’eau claire dans laquelle reposait le dernier morceau. Quelques uns de ses cheveux, les plus indisciplinés, tombèrent sur son visage. Ces quelques mèches dansaient au souffle du vent sur ses joues claires. Mais, à l’instant où elle voulut glisser sa main dans l’eau glacée, elle s’arrêta. Iowy se redressa sur ses genoux et s’appuya des deux mains sur la pierre. Son visage au-dessus de l’eau, elle regardait avec intérêt la surface lisse et transparente. Il lui semblait avoir vu quelqu’un dans le reflet. Elle tourna brusquement la tête, regardant par dessus son épaule, une fois à droite, une fois à gauche. Rien. Il n’y avait personne. Elle regarda une nouvelle fois ce miroir naturel qu’offrait l’eau de source. Elle ne vit pas son reflet mais un visage tout autre, celui d’une femme sublime. Un diadème, fait de fines branches entrelacées et serti de petites pierres, reposait sur son front et encerclait ses cheveux sombres. Iowy l’avait déjà vu, elle le savait, cette nuit même. - Divona, murmura-t-elle. Un sourire naquit sur le visage de la femme prisonnière de cette surface d’eau. Elle adressa un tendre signe de tête à la jeune femme et ancra son regard sombre dans le sien. Des voix résonnèrent comme un écho dans la tête d’Iowy. Son rêve, elle le comprenait enfin, s’en était devenu une évidence à présent. « - Iowy, je ne reviendrai pas. - Divona, non. - Je serai toujours là. Un jour tu comprendras. - Divona. » Iowy n’arrivait pas à se persuader que ce rêve étrange, était bien un rêve, petit à petit elle comprit que, peut être, cela n’était pas le cas. Une réalité. Un souvenir datant de sa plus tendre enfance. Elle l’avait enfoui au plus profond d’elle-même, depuis des années. Divona existait peut être bel et bien. Encore penchée au-dessus de l’eau, elle regardait avec attention le miroir qui ne reflétait que son visage. Celui de la femme avait totalement disparu dans les auréoles argentées qui parcouraient la surface transparente. Elle soupira et retomba sur ses genoux. Elle ferma les yeux un court instant se demandant ce qui était en train de lui arriver. Des détails de son rêve lui revenaient en mémoire. Cette femme lui avait parlé comme une mère parle à son enfant. Peut-être était-elle sa mère ? Elle ouvrit les yeux doucement. Son regard se posa sur le bleu du tissu qui serrait sa taille. Hellawes devait savoir quelque chose. Sinon, pourquoi tenait-elle à ce que la jeune femme se débarrasse de cette étoffe ? Avait-elle un lien avec son passé ? La mère adoptive d’Iowy avait toujours évité le sujet de son abandon. Pendant toutes ces années, elle n’avait fait qu’effleurer la question. Elle avait toujours dit à sa fille qu’elle n’avait été qu’une erreur d’un soir entre un ivrogne et une femme de mauvaise vertu. Et, ne sachant pas quoi faire d’elle, elle l’abandonna dans cette clairière, ici, sur sa route. Pourtant Iowy doutait, espérant au plus profond d’elle-même que ce n’était qu’un mensonge pour qu’elle arrête de poser toutes questions. La femme dont elle avait le souvenir et dont le visage s’était dessiné dans l’eau claire de la source, n’avait rien d’une femme qui offre ses faveurs à qui les veut bien. Iowy avait le sentiment que c’était une personne dotée d’une grande bonté ainsi que d’une infinie gentillesse, elle imposait le respect. La jeune femme arriva à la conclusion qu’elle devait retourner voir la marchande à la roulotte le lendemain. Peut-être, pourrait-elle lui dire d’où provenait cette étoffe et pourquoi elle la lui avait offerte. Mais pour l’heure, elle voulait aller questionner Hellawes. Si elle connaissait la vérité sur son identité, elle devait le lui dire. Elle se devait de découvrir qui elle était réellement. - Je dois le faire, soupira Iowy. - Faire quoi ? - Quoi ? Iowy sortit brusquement de ses pensées. Elle leva la tête et vit Oregan en face d’elle. Sans s’en rendre compte, elle avait fait ses dernières réflexions à voix haute. Elle n’avait pas remarqué l’arrivée de son ami, qui avait eu le temps de poser l’échelle sur le sol à côté de lui, de prendre place en face d’elle et de la regarder avec attention quelques instants. - Es-tu arrivé depuis longtemps ? demanda Iowy. - Non, je n’ai pas eu l’honneur de t’entendre parler toute seule, lui répondit le jeune homme un sourire au coin des lèvres. Iowy ne répondit pas et regarda Oregan se lever. Il avait le même âge qu’elle. Ils avaient grandi ensembles. Depuis enfants, ils partaient des journées entières, ensembles dans les bois ou les prairies, rêvant d’aventures et de combats victorieux. De nombreuses fois, ils avaient été réprimandés pour leurs escapades, mais ils recommençaient toujours, rêvant à chaque fois d’un peu plus de liberté qu’ils ne trouvaient que dans la nature encore sauvage. Une forme de liberté à laquelle ils accédaient par leurs rêves et les histoires qu’ils imaginaient, tout deux couchés sur le dos dans les hautes herbes. Ils pouvaient passer des heures à cet endroit en silence, simplement à regarder les formes majestueuses des nuages blancs par les beaux jours d’été. Oregan et Iowy étaient amis, comme frère et sœur. Inséparables, puisqu’il était impensable d’en croiser un sans que l’autre ne soit pas bien loin. Bien que leurs jeux étaient finis depuis quelques temps déjà, ils restaient néanmoins encore très proches. Le jeune homme se tenait désormais, debout, face à Iowy. Il était grand, légèrement plus que la jeune femme. Il portait des chaussures en toile épaisse de couleur brune et abîmées à de nombreux endroits. Elles montaient un peu plus que ses chevilles pour retenir prisonnières les extrémités de son large pantalon gris. Il avait glissé ses mains rugueuses et abîmées par le travail physique, dans les fines ouvertures, près de sa ceinture. Celle-ci était en cuir et retenait son pantalon à la hauteur de la taille. En son centre, était cousu un élément rond, lui aussi en cuir, mais plus sombre, qui avait la forme d’un arbre. Un arbre majestueux, doté de branches infiniment grandes. Cette ceinture, qu’Oregan ne quittait jamais, avait appartenu à son père. Celui-ci fut chevalier et ami du précédent roi. Le jeune homme était toujours très fier de ses origines, même s’il en parlait peu. Sa famille avait fuit le palais royal à la mort du roi Lowen. Ils avaient construit une vie ici, loin des épées du nouveau roi, toujours avide de plus de pouvoir. Ils avaient mené une vie paisible pendant quelques années. Mais un homme les retrouva, les parents de Katryn et d’Oregan furent exécutés. Les enfants avaient pu échapper au massacre. Ils avaient été sauvés par des villageois, cachés dans une grange, et ils avaient assisté au spectacle, sans pouvoir rien y faire. Ils avaient vu leur maison partir en fumée, ils avaient entendu les cris de leur mère, torturée par plusieurs soldats. Ceux-ci repartis, les villageois offrirent une cérémonie aux morts. Et ils purent récupérer quelques objets épargnés. Notamment cette ceinture qu’Oregan avait gardé des années dans une grande malle dans l’auberge où ils vivaient à présent. Cet objet était un témoin du passé et de l’ascendance prestigieuse du jeune homme, mais c’était avant tout, un souvenir, celui de son père qu’il n’avait connu que trop peu de temps. Iowy continuait de regarder son ami devenu un homme. La ceinture retenait également sous son emprise la chemise blanche, un peu sale, qui habillait son buste puissant. C’était une chemise large avec de longues manches, elle était élaborée à partir d’un fin tissu presque transparent. Les avant-bras du jeune homme étaient nus, le tissu maladroitement replié sur ceux-ci mettait en valeur la force de ses muscles. Ses cheveux blonds ondulaient et leurs pointes abîmées caressaient ses larges épaules. Le sourire qu’il adressait à Iowy réduisait sa bouche à de fines bandes rosâtres sur son visage. Oregan avait un fin et long nez, son visage était presque aussi délicat que celui d’une jeune femme. Mais ce qui était sans doute le plus frappant chez le jeune homme, n’était pas cette apparente incohérence entre son corps fort et carré et son visage fin, c‘était plutôt son regard. Oregan était un homme qui possédait des yeux de différentes couleurs. Cette particularité était rare, son œil droit était vert et le gauche, bleu. Oregan savait séduire les femmes de passage à l’auberge ou celles du village et la caractéristique de ses yeux y était pour beaucoup. - Iowy ? Que fais-tu là exactement ? lança Oregan pour faire retomber la jeune femme dans la réalité. - Je rassemblais les éclats de la cruche que Hellawes a fait tomber. Sans aucune hésitation, elle se pencha au-dessus de l’eau et y glissa sa main pour saisir le dernier morceau qui se trouvait au fond du petit bassin naturel. - Ah, murmura le jeune homme en soulevant un sourcil, ce n’est pas ce que j’ai vu. - Eh bien c’est que tu as mal regardé sans doute, lui lança Iowy avec un regard de défi. - Iowy, ça ne va pas ? Elle soupira et se leva avec les pièces de terre cuite dans la main. - Si. Nous devrions aller chercher du bois parce que nous avons encore du travail qui nous attend. Elle passa à côté de son ami et se dirigea vers la maisonnette. Là, elle posa la cruche brisée sur une table en bois adossée au mur en pierres. Elle se retourna vers son ami et tous les deux se dirigèrent vers le bois. Ils marchèrent côte à côte, regardant le sol pour y trouver des branchages afin de mener à bien la tâche dont leur avait chargé la vielle femme. - Tu ne veux pas me parler ? s’aventura Oregan. - Non, répondit catégoriquement la jeune femme. - Très bien, je préfère ne pas insister. Quand tu te trouves dans un état pareil, tout peut arriver. Iowy ne répondit pas à la remarque d’Oregan. Elle ne voulait pas entrer en conflit avec lui maintenant et elle préféra donc garder le silence.


Ils marchaient doucement, laissant ainsi leur regard voyager sur le sol couvert de végétation. Des rochers sombres et d’autres de couleurs plus vives étaient recouverts de mousse, invitant chaque être de passage à venir se reposer sur cet oreiller naturel. Du lierre retenait prisonnier entre ses racines des troncs d’arbres de toutes les tailles. Il engloutissait sous ses feuilles la terre brune et de nombreuses branches mortes aux formes mystérieuses et hors du commun. Des fougères protégeaient de leurs ombres de petites fleurs rosâtres et blanches qui gagnaient chaque jour du terrain aux pieds des arbres majestueux de la forêt de Wild. Iowy et Oregan marchaient à quelques mètres du sentier qui s’enfonçait dans la forêt, rejoignant quelque part un autre village, ou une autre ville du royaume. Ils n’avaient jamais emprunté ce chemin bien loin, faisant toujours route inverse lorsqu’ils se sentaient trop loin du monde qu’ils connaissaient.

Tous deux étaient séparés par quelques végétaux qui perdaient doucement, au fil des heures, l’humidité emmagasinée la nuit précédente. Ils ne se parlaient pas. Iowy, perdue dans ses pensées, se baissait de temps à autre sans même avoir conscience des gestes qu’elle faisait. Elle saisit une fine branche qui pourrait convenir à l’usage prévu et la mit machinalement sous son bras, épaississant ainsi le petit paquet de branches mortes. Elle enjamba une souche sans vie depuis des années, où avait poussé à proximité un buisson de ronces. Il était épais et ses tentacules de bois fin, mais dotées de redoutables épines, envahissaient l’espace de végétation verdoyante. Une épine effleura la jeune femme et saisit l’étoffe bleue qu’elle avait mise autour de sa taille. La pointe s’enfonça immédiatement et profondément dans le délicat tissu, obligeant Iowy à s’arrêter. Ses yeux se posèrent sur l’étoffe retenue prisonnière. Elle lâcha le paquet de branchages qui s’écrasa au sol. Elle se tourna face au buisson puis saisit l’étoffe d’une main et l’épine de l’autre. Elle retira délicatement le tissu et garda dans sa main la partie blessée. Une longue déchirure était visible entre les fins fils d’argent et de turquoise. Elle les passa entre ses doigts, comme pour en atténuer la douleur, espérant pouvoir remettre ensemble les fibres abîmées. Sa tentative vouée à l’échec, Iowy soupira. Elle ne comprenait pas ce fait établi, qui régissait le monde dans lequel elle vivait. Pourquoi le mal tentait-il toujours de détruire le bien sans qu’on puisse y faire quoique se soit ? Bien sûr, ce n’était qu’une étoffe, rien de bien important, mais la jeune femme y vit une nouvelle manifestation d’un mal détruisant un bien. Quelque chose de somptueux qui, était, sans aucune autre finalité que d’exister. Confrontée à cette situation jour après jour dans son quotidien, Iowy ne put retenir les timides larmes qui naissaient, brillantes comme des perles, au creux de son regard bleu. - Iowy. Elle sentit la main d’Oregan se poser sur son épaule. Sans qu’elle ne le remarque, il avait posé son paquet de branchages à côté du sien et s’était avancé jusqu’à elle. Sa réflexion l’avait fait oublier où elle se trouvait. Elle se tenait, immobile, le regard perdu dans le bleu de l’étoffe. - Tu ne vas vraiment pas bien aujourd’hui. Je ne t’ai jamais vu dans un tel état, s’inquiéta Oregan. - Ça va aller, je suis fatiguée, dit-elle en lui adressant un timide sourire. - Ne me raconte pas n’importe quoi, je te connais mieux que quiconque. - Oregan, cela n’a pas d’importance, crois-moi, tout ira mieux d’ici peu. Sur ces mots, elle lâcha le tissu puis ramassa son paquet de branchages, beaucoup moins épais que celui de son ami. - Nous devrions continuer, je n’ai pas ramassé assez de branchages, poursuivit-elle. - Avec ce que j’ai, il désigna le paquet posé au sol, nous pouvons arrêter un moment. Iowy fit la moue. Elle ne souhaitait pas en faire plus et la proposition de son ami était la bienvenue. - Comme ça, tu pourras me parler de ce qui te préoccupe. Il sourit et la jeune femme soupira. - J’en étais sûre. Pourquoi ne te contentes-tu pas de ce que je t’ai dit ? Elle lâcha les branchages et croisa les bras sur sa taille. - Parce que je suis curieux, je veux savoir. Alors raconte-moi. Iowy regardait Oregan sans broncher. Elle savait qu’il ne servirait à rien de lutter contre lui. Il arrivait toujours à savoir ce qu’il voulait. Cela la mettait souvent hors d’elle, mais cette fois, elle préféra parler. Elle estimait qu’il valait mieux tout lui dire maintenant, même si, elle craignait ses habituelles moqueries. - Bien, dit-elle dans un souffle. Elle s’assit sur un tronc couché sur le sol. Du nickel le recouvrait presque entièrement, l’habillant ainsi d’une soyeuse cape bleutée. Oregan se dirigea vers la jeune femme et prit place à ses côtés. - Vois-tu cette étoffe ? lui demanda Iowy en soulevant délicatement le tissu léger. Lorsque j’ai quitté ta sœur ce matin, je suis allée voir d’autres étales. J’ai admiré tout ce que je ne pouvais pas m’offrir. Je me suis arrêtée chez une marchande. Il y avait disposé, de sublimes tissus aux milles couleurs. Elle m’a offerte celle-ci parce que je trouvais la couleur particulièrement belle et… - Offerte ? lança le jeune homme qui n’en croyait pas ses oreilles, il se pencha et laissa glisser le délicat tissu sur ses doigts rugueux et abîmés, mais Iowy cette étoffe doit coûter une fortune. - Oui, je le sais, mais elle a insisté et… - Hellawes l’a-t-elle vu ? Qu’en a-t-elle dit ? - Si tu arrêtais de m’interrompre sans arrêt, je pourrais peut être continuer. - Pardon, dit-il à voix basse en lâchant le tissu qui retomba délicatement sur la robe de la jeune femme. Iowy reprit son récit d’une voix douce et calme. - Hellawes a réagi étrangement. Nous nous sommes disputées, elle a brisé la cruche qu’elle tenait et ensuite elle m’a dit que cette étoffe n’était pas pour une fille comme moi et que je devais la détruire sans en parler à personne. Oregan ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais Iowy fut plus rapide. Elle haussa légèrement le ton pour couper toute envie à son ami d’intervenir une nouvelle fois. - J’ai pris la décision de ne pas lui obéir et de faire ce que je voulais. Et je l’ai gardé. Mais ensuite, il s’est produit quelque chose d’étrange. Elle fronça les sourcils se remémorant ce qu’il s’était passé un peu plus tôt, ce matin là. - Lorsque j’ai voulu prendre un éclat de cruche qui avait fini sa course dans le bassin de la source, j’y ai vu un visage. Oregan pouffa de rire. - Si tu étais penchée au-dessus, je crois que c’est normal, c’était ton reflet. - Merci Oregan, lança Iowy avec ironie, je ne suis pas simple d’esprit, ce n’était pas moi. - Et qui alors ? continua-t-il sur le même ton amusé. - Je crois que c’était Divona. - Divona ? Celle de ton rêve ? En es-tu certaine ? - Oui, c’était elle. Elle m’a adressé un sourire et un mouvement de tête et ensuite, elle a disparu mais… - Mais ? - Je pense que cette étoffe est un lien avec mon passé et que Divona l’est, elle aussi. Voilà pourquoi Hellawes a réagi de cette façon en la voyant, elle sait peut être quelque chose. - Iowy, soupira le jeune homme. - Ne me dis pas que je n’ai plus tous mes esprits. Je sens qu’il se passe quelque chose. - Iowy, ne crois-tu pas que ton imagination te joue des tours ? Peut-être que Hellawes était furieuse parce qu’elle croyait que tu avais volé cette étoffe. - Je le savais, lança-t-elle en se levant d’un bond. - Que savais-tu? - Que tu ne me croirais pas. - Tu te trompes, ce n’est pas que je ne te crois pas mais, ce que tu me dis est vraiment invraisemblable. Peut être simplement que les rêves que tu fais la nuit te tracassent encore quand tu es éveillée. Tu crois connaître cette Divona alors qu’elle n’existe que dans ton esprit. Iowy le regarda en levant un sourcil vers le ciel. Comment et où Oregan pouvait-il bien chercher tout ceci ? Elle n’eut pas besoin de lui poser la question puisque la réponse arriva d’elle-même, car vu l’air interrogateur qu’affichait la jeune femme, il décida de s’expliquer. - C’est un voyageur que j’ai rencontré une fois. Il racontait que certaines choses qui te semblent étranges ou mystérieuses, certaines même familières et connues, sont en réalité tirées de tes rêves et tu y penses la journée. - Mmh, grommela Iowy, tu crois donc un voyageur que tu as rencontré une fois dans ta vie. Qui paraît être un fou au premier coup d’œil, et qui, à mon humble avis a dû finir ivre avant d’arriver dans sa chambre, plutôt que moi. Merci, j’apprécie l’estime dont tu fais preuve à mon égard. - Ne te fâche pas, bredouilla le jeune homme. - Je ne me fâche pas, lança Iowy sur un ton bien plus fort et plus sec que celui de son ami ce qui mit fin à cette escalade de paroles regrettables entres les deux jeunes gens. A présent, il ne disait plus rien et la regardait avec inquiétude. Iowy quant à elle était furieuse, non envers son ami, mais envers elle-même. Elle n’aimait pas ce qu’elle éprouvait. Ce sentiment de peur et de solitude profonde. Elle ne savait pas qui elle était et ce qui était en train de se passer. Elle aurait voulu ne jamais se souvenir de cette scène de son enfance, ne jamais avoir rencontré cette femme ce matin là, et ne jamais avoir eu cette discussion avec Oregan. - Excuse-moi, murmura la jeune femme, je ne sais pas pourquoi tout ceci m’arrive, ni même ce que c’est. Mais crois-moi, il se passe quelque chose d’inhabituel Oregan, je le sens. - Dis moi quoi ? insista son ami. Iowy détourna son regard de son ami et regarda quelques feuilles voler sur le sentier tout proche. - Je ne le sais pas. Ils restèrent un moment silencieux, chacun perdu dans ses pensées. Iowy gardait le regard au loin, sur le sentier qui s’éloignait vers l’inconnu et Oregan regardait le sol devant ses pieds. Il se leva brusquement, comme si le vieux tronc d’arbre avait prit feu puis il se dirigea vers son amie. - Nous devrions rentrer, dit-il en levant le regard vers la cime des arbres qui dansaient au souffle du vent, ça doit faire bien plus d’une heure que nous sommes partis. Iowy acquiesça. - Ne t’inquiète pas, reprit Oregan, je suis persuadé que c’est juste un mauvais jour, comme il peut arriver parfois, dès demain tout ira mieux. - Oui, tu as sans doute raison. Ils prirent tous deux leurs paquets de branchages et empruntèrent le sentier en direction de la maisonnette où se trouvait Hellawes. - N’as-tu pas questionné Hellawes pour l’étoffe ? Pourquoi avait-elle agi de cette manière ? s’aventura Oregan. - Non, je n’en ai pas eu le temps. Tu es arrivé lorsque je m’apprêtais à le faire. Oregan ne répondit pas et ils restèrent silencieux jusqu'à ce qu’ils regagnent la clairière. Ils déposèrent les branches contre le mur de la maisonnette. Iowy partit chercher une fine cordelette enroulée après un clou sur le montant de la porte. Pendant ce temps, le jeune homme chercha l’échelle en bois qu’il adossa à l’extrémité du modeste toit. Il grippa dessus, évitant certains barreaux manquants. Lorsqu’il fut au point le plus haut, il regarda avec attention la tâche à accomplir, analysant ainsi le travail à effectuer. - Alors ? lui demanda Iowy en bas de l’échelle. - Ce n’est vraiment pas grand-chose, ce que nous avons ramassé suffira amplement. Il redescendit et aida Iowy à rassembler les branchages ensembles en les liant avec la cordelette. Les branches étaient de différentes tailles, certaines longues, d’autres plus courtes. Quelques unes plus sèches que d’autres. Parfois, il y en avait de plus épaisses et par conséquent moins maniables. Ce travail ne prit que peu de temps et Oregan remonta sur l’échelle de fortune. Une fois en haut, il tendit le bras pour attraper l’œuvre qu’ils avaient fait ensembles et que la jeune femme lui donnait. Ensuite, il l’étendit, la fixant par endroit avec de petits bouts de ficelle qu’il coupait aisément avec son couteau qu’il gardait toujours dans sa poche. De cette couverture naturelle, il combla ainsi le trou qu’avaient fait les oiseaux au fil des semaines. Une fois le travail de la journée accompli, Oregan et Iowy s’arrêtèrent un instant. La jeune femme tendit à son ami un petit bol façonné dans du bois tendre, qu’elle avait plongé dans l’eau de la cascade un instant plus tôt. Oregan le prit et but l’eau fraîche et claire d’une seule traite. - Aaaah, merci demoiselle, dit-il avec le sourire en rendant le bol à Iowy. - Mais de rien. Vous avez fourni un travail remarquable maître. Tous deux rirent aux éclats face à tant de politesse inhabituelle dont ils faisaient preuve l‘un envers l‘autre. La porte de la maisonnette s’ouvrit en grinçant, attirant l’attention des deux jeunes gens. Hellawes s’appuya contre l’embrasure tenant dans ses mains abîmées la chemise blanche qu’elle avait eu tant de peine à coudre ce matin là. Elle fit un geste à Oregan pour qu’il vienne la rejoindre. - Oregan, cria-t-elle d’une voix enraillée. Celui-ci se leva immédiatement puis courut d’un pas léger jusqu’à la maisonnette. Il était suivi d’une ou deux foulées par la jeune femme. - Merci pour le toit. - Ce n’est rien Hellawes, le vieux Hélias m’a permis de venir, il n’y a pas trop de travail ces derniers temps au village. - Tu le remercieras tout de même de ma part. Voila tiens, j’ai fini ta chemise ce matin, tu peux la reprendre, elle lui tendit le tissu, et fais attention la prochaine fois. - Merci Hellawes. Il la prit et lui déposa un baiser sonore sur son front marqué de profondes rides. - Oh non, tu sais que je n’aime pas ça, protesta la vielle femme. - Oui et c’est pour cette raison que je le fais, dit-il en riant. Elle soupira et secoua la tête, désemparée, face à cette jeunesse qu’elle ne comprenait pas. A cet instant, Iowy arriva devant la demeure en bois et Hellawes s’adressa à elle. - Accompagne Oregan au village pour porter l’échelle, une fois fait, tu rentreras immédiatement sans t’attarder, j’ai à te parler. - Très bien, murmura Iowy. Elle posa le bol qu’avait utilisé Oregan sur la table en bois et se tourna vers son ami. Celui-ci acquiesça et ils se dirigèrent vers l’échelle. Hellawes les regarda encore un instant et entra, refermant la porte derrière elle. Oregan posa sa chemise pliée en deux sur une de ses épaules. Il saisit l’extrémité de l’échelle avec ses deux mains puissantes et y passa le bras droit entre deux barreaux. Ainsi, le montant reposait sur son épaule droite. Il lui suffisait de soutenir le poids avec sa main qu’il plaça en dessous du second montant. Iowy en fit de même. Son épaule étant légèrement plus basse que celle de son ami, l’échelle penchait vers l’arrière. - Ça va ? lui lança le jeune homme trois mètres devant elle. - Oui nous pouvons y aller, répondit Iowy. - Alors, en avant demoiselle. Iowy sourit et suivit Oregan qui marchait devant elle. Pendant le trajet, il lui semblait que de nombreux cailloux pointus s’étaient glissés sous ses sabots, la menaçant de la faire tomber à chaque instant.

Après quelques temps, le contact du bois dur sur son épaule la brûla. Oregan marchait vite et la jeune femme devait suivre son allure. L’échelle semblait flotter à quelques centimètres au-dessus de l’épaule de son ami, comme si elle ne pesait pas davantage qu’une dizaine de plumes. Mais Iowy, pour qui c’était une autre histoire, luttait pour ne pas lâcher prise, se disant qu’à chaque pas, elle se rapprochait un peu plus de leur but et du moment où sa souffrance prendrait fin. - Comment as-tu fait pour la porter à toi tout seul ? demanda Iowy à bout de souffle. - Je me suis débrouillé et puis, je suis costaud, répondit Oregan sur un ton claironnant. - Vantard, murmura la jeune femme. Ils sortirent rapidement de la forêt. Ils dévalèrent la colline et entrèrent dans le village où se croisaient des villageois ayant accompli leurs taches journalières et rentrant chez eux. Quelques « bonsoirs » furent prononcés entre les deux amis et les passants sur le chemin de la grange où ils devaient déposer l’échelle. - Nous allons la mettre là, contre le mur, dit Oregan. Iowy plia les genoux et se libéra de son fardeau. Puis, Oregan prit l’échelle des deux mains et l’adossa contre le mur fait de planches. La jeune femme regarda autour d’elle. La grange de son enfance était semblable en tous points à ces milles fois où ils étaient venus s’y réfugier. De nombreuses fois, tout deux avaient sauté, roulé et glissé dans le foin qui touchait presque le toit du fragile édifice. Mais à présent, Iowy se trouvait à côté d’un tas à peine plus haut qu’elle. Les temps avaient changés, les taxes imposées par le roi étaient élevées et la population s’appauvrissait de jour en jour. Certains ne pouvaient plus cultiver la terre pour se nourrir, sans argent, ils ne pouvaient pas se vêtir, manquant parfois même d’un simple toit de bois au-dessus de leur tête. Oregan prit une poignée de foin et la fourra dans la mangeoire élaborée à l’aide de simples barreaux accrochés au mur. Le cheval se dirigea immédiatement vers celle-ci pour y prendre doucement quelques brindilles d’herbes sèches. Oregan lui tapota affectueusement le museau puis, il prit sa chemise encore posée sur son épaule et la mit sur un seau retourné sur le sol. Il se tourna vers une petite ouverture dans le mur. Il pouvait y voir au loin la forêt. Entre elle et la construction, poussaient avec difficulté des légumes dans un potager presque abandonné. De gros rondins de bois délimitaient son espace. Oregan soupira. Il saisit les deux battants présents de chaque côté de l’ouverture et les ferma. Il glissa une épaisse planche entre pour les maintenir clos contre le cadran. Pendant ce temps, Iowy s’était dirigée vers l’animal. - Bonjour Bellera, dit Iowy à la sublime jument blanche qui hennit dans son enclos. Elle lui sourit et lui tendit la main pour déposer une douce caresse sur son museau. - Pourquoi ne la sors-tu pas ? demanda la jeune femme à Oregan qui se plaça à côté d’elle. - Elle est vieille, il faisait un peu frais pour elle aujourd’hui. - Je trouve qu’il faisait bon pourtant. - Tu as à peine vingt ans, elle doit en avoir autant, c’est beaucoup pour un animal. N’est-ce pas vieille fille ? Iowy rit. Oregan se comportait toujours avec beaucoup de douceur à l’égard de sa jument. Il la considérait comme une veille dame. Bellera avait appartenu à son père, ce qui la mettait à une place à part dans le cœur du jeune homme. - Tu devrais mettre un peu d’eau sur ta rougeur, lui lança Oregan qui fut légèrement affecté par la réaction de son amie. Il prit une étoffe qui reposait sur le sol et la trempa dans un seau d’eau à moitié plein d’une eau claire. Il essora le tissu et le tendit à Iowy qui tapota doucement son épaule avec. - M’accompagnes-tu, Iowy ? Oregan se trouvait à présent à la porte de la grange, regardant la rue. - Où ? - A la taverne, je dois te présenter un homme hors du commun, il est arrivé hier. Je t’assure il est incroyable et... - Je ne peux pas, dit-elle en posant le tissu abîmé sur la rambarde derrière laquelle somnolait Bellera, je dois rentrer immédiatement. Oregan se retourna. - Iowy, il reprendra peut être sa route dès demain, il faut que tu le rencontres, il vient du Nord et… - Je l’ai déjà rencontré. Et puis, Hellawes m’attend. Je pense qu’elle veut me parler de cette étoffe. - Iowy je t’en prie, ça ne sera pas long, insista le jeune homme. - Non. Elle passa à côté de lui et s’apprêta à partir mais il la retint un instant par le bras. - Attends, où l’as-tu rencontré ? demanda Oregan qui venait juste de comprendre les paroles qu’elle avait prononcé. - Ce matin au marché, j’étais perdue dans mes pensées et je ne l’ai pas vu. Je me suis heurtée à lui et il m’a rattrapé avant que je ne tombe sur le sol. - Et alors ? Dis-moi, qu’en penses-tu ? demanda avidement Oregan lâchant l’emprise qu’il avait sur la jeune femme. - Heureusement qu’il m’a retenu sans cela, j’aurai eu un beau bleu sur la fesse droite. Elle sourit. - Sérieusement, ne le trouves-tu pas étrange ? - Non. Particulier, c’est vrai. Mais rien de plus. Le jeune homme sembla déçu et elle poursuivit. - Je suis désolée mais je ne pense pas qu’il soit mage, sorcier ou toute autre chose. - Je ne crois pas à ces choses là, la magie n’existe pas. - Oui peut être, mais fais attention, ta sœur y croit et elle va finir par te mettre dans la tête des choses pareilles. - Attends un peu, si je me souviens bien, qui est-ce qui croyait que le boulanger était un nain qui avait prit une potion pour grandir ? - Oregan, nous avions sept ans. - Peut être et le visage dans l’eau, date-t-il de nos sept ans ? Iowy lui lança un regard glacial et Oregan comprit qu’il était allé trop loin cette fois là. - Je suis désolé, murmura t-il. - Je dois y aller, à demain, répondit la jeune femme sur un ton sec. Elle tourna les talons et passa devant la taverne pour regagner la maisonnette où vivait Hellawes. Oregan resta les bras croisés sur son torse, devant la grange, regardant partir Iowy de toute évidence vexée. Elle n’en revenait pas. Elle lui avait parlé de choses sérieuses, des choses qui la touchaient et la déboussolaient profondément, et il pouvait comparer cela à des bêtises d’enfants de sept ans. Elle savait qu’au fond d’elle, elle n’inventait pas. Peu lui importait que même son meilleur ami ne croyait pas un mot, elle, elle savait qu’elle devait rentrer au plus vite chez elle et que Hellawes lui dirait tout ce qu’elle savait à propos de son passé.


- DES SOLDATS, cria une voix grave. Iowy sortit brusquement de ses pensées. Un homme courait au plein milieu de l’axe principal du village. Il était affolé, en sueur et peinait à respirer. Quelques gouttes de sang perlaient sur sa peau sale. - Des soldats du roi arrivent par la forêt. Il s’arrêta à proximité d’Iowy pour reprendre son souffle. Quelques habitants apparurent aux portes des maisons et la porte de la taverne s’ouvrit à la volée. Iowy vit l’homme du Nord dans son encadrement. - Partir, il faut partir vite, continuait de vociférer l’homme, ils brûleront tout et tout le monde sera exécuté. Les personnes restées immobiles à son entrée dans le village, s’affolèrent et coururent rapidement, regagnant leurs habitations pour prévenir l’ensemble du village. A présent, il fallait se sauver pour échapper à la folie meurtrière des soldats. Oregan courut sans la moindre hésitation rejoindre Iowy. - Par la forêt dis-tu ? demanda la jeune femme. - Oui ils sont nombreux, au moins trente. La sorcière les accompagne, nous ne pouvons pas nous battre, il faut fuir. Il reprit sa course en hurlant et en bousculant les personnes qui se pressaient à présent dans toutes les directions. - Attends, cria Iowy alors que sa voix fut emportée par des hurlements de terreur de certains habitants. - Iowy, murmura Oregan en lui prenant le bras. Elle suivit le regard de son ami qui se perdait derrière elle et elle fit volte face. Des chevaux noirs, lancés au galop, entraient dans le village. Le jeune homme tira Iowy par le bras et ils se glissèrent sous une remorque pleine de fumier encore chaud, dégageant une forte odeur nauséabonde. Tout deux tapis dans leur cachette, ils regardaient, impuissants, la scène terrifiante qui se déroulait sous leurs yeux. Une trentaine de cavaliers du roi en armures, avec épées et torches aux poings, frappaient toutes personnes sur leur chemin. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous sans exception. Tous tombèrent. Le sang se répandait autour de leur corps désarticulé ou tordu par la douleur de la lame d’acier transperçant leur peau et leurs membres. Le sang coulait dans la terre. Des enfants pleuraient à chaudes larmes à côté des corps de leur mère. Tous les toits partaient en cendres, obligeant ceux qui s’étaient réfugiés à l’intérieur à sortir, les exposant ainsi aux mêmes dangers que les autres habitants. Ces ombres noires étaient sans aucune pitié. L’un d’eux s’arrêta devant la cachette des deux amis. Iowy leva les yeux vers le cavalier. Il était habillé de la même manière que les autres, se tenant droitement et fièrement sur son cheval à la musculature puissante. Des chaussures en cuir, noires et brillantes, montaient sur ses chevilles. Elles couvraient une partie de son pantalon de la même couleur, élaboré à partir d’un épais et lourd tissu. A l’aide de lanières en cuir, étaient attachées sur ses genoux de petites formes circulaires, le protégeant des coups de ses éventuels agresseurs. Il portait une armure noire, confectionnée dans un des bois les plus dur et les plus solide du royaume. Son aspect laqué, reflétait les rayons encore chaud du soleil, tel un miroir. Cette protection, se portait presque comme une deuxième peau, épousant parfaitement les courbes de son corps et les formes de ses muscles. Ses épaules étaient elles aussi, protégées par de petites parties en cuir plus épaisses où des bordures en métal y étaient cousues, accentuant ainsi leurs aspects puissant. Les mains du soldat serraient fermement les mors du cheval qui piétinait le sol d’impatience. Malgré le bruit qui les entourait, Iowy pouvait entendre le souffle du cheval. Un souffle régulier, un râle envoûtant. Le cavalier resserra une nouvelle fois ses doigts enveloppés de cuir puis, il regarda au loin. Il ne fallut qu’une seconde pour qu’il se dirige vers d’autres soldats, occupés à terroriser un vieux marchand.

La jeune femme le regarda partir en direction de la place où elle s’était trouvée le matin même. Elle aperçut dans son dos une épée pointue ainsi qu’un large bouclier. La fumée qui envahissait la rue principale se faisait de plus en plus dense. Seules des ombres se dessinaient au loin, tels des fantômes surgis des contes et des légendes. Oregan entendit Bellera hennir dans son boxe. Il reprit pied dans la réalité et se tourna vers son amie. La vue de la grange en feu derrière celle-ci le foudroya d’effroi sur place. Sa jument était en proie aux flammes, il se devait d’aller la secourir, elle était en danger. - Je vais sortir Bellera de la grange. Iowy, le visage secoué de larmes face à ces scènes de massacre qui se déroulaient devant ses yeux, détourna enfin le regard de la rue et le plongea dans celui de son ami. - Oregan non, c’est beaucoup trop dangereux. Elle le retint par le bras, mais il ne fallut qu’une seconde au jeune homme pour qu’il s’en dégage. - Iowy, elle a besoin de moi. Hellawes est dans la forêt, peut être ne sont-ils pas passés par la clairière, alors vas la rejoindre. Je vais sortir Bellera de là. Dès que la voie est libre, cours aussi vite que tu le pourras en direction de la forêt, sous les arbres tu seras en sécurité, je te rejoindrai. - Oregan, je ne peux pas. Il prit son visage entre les mains et lui parla doucement. - Tu peux le faire Iowy, je le sais. Tu passeras derrière la taverne, personne ne te verra. Vas-y. Il la serra un court instant contre lui et continua de lui parler doucement au creux de son oreille. - Fais attention à toi petite sœur. Il se sépara de la jeune femme et après un dernier regard, il se leva et courut d’une traite à la grange. Celle-ci était en feu, le toit, les murs de bois, tout partait en cendres.

Iowy regarda son ami s’enfoncer dans l’épais nuage de fumée qui à présent, s’était étendu à la totalité du village. Elle sortit prudemment de sa cachette, regardant à maintes reprises si personne ne l’apercevait, puis elle courut aussi vite qu’elle le put en direction de la forêt. Elle devait traverser presque la moitié du village pour y arriver. Elle passa derrière la taverne, comme lui avait dit son ami. De nombreux cris de peur et de souffrance s’en élevèrent. Certains émissaires du roi y avaient pénétré et y fouillaient chaque chambre sans se soucier des propriétaires. Iowy se cacha derrière une demeure aux pierres sombres. Elle y vit un soldat pointer son épée sur la gorge d’un père de famille. Son épouse se débâtait, alors qu’elle était retenue par un soldat bien plus fort qu’elle. Leur enfant à peine âgé d’une dizaine d’année, était maintenu immobile au sol par les cheveux qu’un autre homme tenait fermement. - Dis-le moi ou je te tue, lança le premier soldat. - Je ne sais pas. Je vous le jure. Laissez-nous par pitié, sanglota l’homme à genoux sur le sol et tendant ses deux mains abîmées vers son agresseur, nous ne sommes que de simples travailleurs de la terre, nous obéissons à notre roi. - Alors, dis-moi où je vais la trouver, continua-t-il toujours avec une extrême froideur dans la voix. - Je l'ignore. Je ne connais pas cette femme. - Très bien, soupira le soldat. Iowy comprit que cette réponse ne l’avait pas satisfait. Elle baissa les yeux et regarda le sol pour ne pas voir l’événement qui allait se produire à cet instant. La femme et l’enfant hurlèrent au même moment. Le soldat venait d’exécuter l’homme sous leurs yeux, sans aucune autre forme de procès. - Vas-y, dit-il d’un mouvement de tête à un autre. L’homme qui tenait le petit garçon le lâcha ainsi que la torche en feu qu’il tenait dans son autre main. Tout les trois sortirent de la maison immédiatement après. La jeune femme et l’enfant restèrent en pleurs à côté de ce corps désarticulé autour duquel se répandait déjà une mare de sang sombre. Le feu prit rapidement les brindilles sèches. Iowy ne sut pas si les deux personnes avaient quitté la demeure avant qu’elle ne se consume totalement. Elle, elle se devait de continuer son chemin, elle devait essayer de chasser de son esprit ce qu’il venait de se passer sous ses yeux. Elle devait, tant bien que mal, reprendre ses esprits, sa vie en dépendait. Elle s’empressa de poursuivre sa route. Elle pensait à Hellawes, priant intérieurement qu’elle ne fut pas sur le chemin des soldats, sans cela elle aurait sans doute connu pareille mort. La jeune femme regarda si la voie était libre, puis elle courut en direction de la maison de son enfance. Il ne lui restait pas beaucoup de distance à parcourir avant d’atteindre la protection rassurante des arbres. Ses sabots en bois dur lui devenaient douloureux et la ralentissaient considérablement. Mais lorsqu’elle crut qu’elle était tirée d’affaire, un soldat remarqua sa présence. Un homme en armure se dirigea vers elle au galop. Iowy eut le temps de l’apercevoir et se recroquevilla sur elle-même. Elle put échapper au tranchant de son épée qui s’abattit sur sa tête. Le cavalier perdit équilibre et tomba de son cheval. Iowy profita de cette opportunité pour fuir. Elle enleva ses sabots d’une main mais une autre, bien plus forte et plus carrée, l’attrapa par sa précieuse étoffe. La jeune femme se débattait de toutes ses forces, s’accrochant à ce désir de vivre plus que tout. Son étoffe se déchira un peu plus à chacun de ses mouvements violents. Jusqu’au moment où, elle finit par céder. Il ne restait plus qu’un bout à peine assez grand pour entourer sa taille. Alors qu’elle vit la fin venir, se disant que quoiqu’elle fasse, elle finirait par ne plus avoir de force et qu’il arriverait ainsi à lui prendre la vie, une silhouette massive apparut devant elle et brandit une épée. « L’homme du Nord. », pensa la jeune femme qui le reconnut au premier regard. Celui-ci se tenait à côté d’elle et fendit l’air avec son arme qui entra en contact avec la lame de son agresseur. - Va-t-en, dépêche-toi et ne te retourne pas, lui cria-t-il. Iowy se leva immédiatement et fit comme il lui avait dit. Elle courut, si vite, encore plus vite, comme elle n’avait jamais couru, sans se retourner. Dans son dos, lui parvenaient des cris de douleurs, des pleurs, le bruit des armes qui s’entrechoquaient, mais elle ne se retourna pas pour voir ce qu’il se passait, pas une seule fois. Elle devait faire vite, fuir avec Hellawes, le plus vite et le plus loin possible. Il y avait une chance pour que les soldats ne soient pas passés dans leur clairière, une chance pour qu’ils aient épargné sa vie, une faible chance, mais une chance à laquelle la jeune femme voulait se raccrocher. Elle devait s’accrocher à quelque chose, à un espoir pour ne pas sentir ses pieds douloureux. Ils saignaient abondements depuis qu’elle s’était élancée à toute allure sur le sentier en pierres, ces pierres qui écorchaient sa peau à chaque seconde. Mais Iowy continua, encore et encore. Elle arriva enfin à la clairière à bout de souffle. Cette clairière qui était restée paisible pendant des années, ne ressemblait en rien aux souvenirs qu’elle en avait. Elle resta immobile l’espace de quelques secondes. Ils étaient passés par là. La maisonnette brûlait, le toit menaçait de céder à chaque instant. - Non, lança la jeune femme impuissante. Elle se remit à courir vers la modeste demeure qui se consumait de haut en bas. Une fois sur le pas de la porte, elle porta l’extrémité intacte de son étoffe à son visage et protégea son nez et sa bouche des fumées nocives. Hellawes était étendue sur le sol, son corps était retenu prisonnier par des pierres de la cheminée qui s’était écroulée, coinçant ainsi la veille femme sous l’épaisse table en bois. Iowy se précipita vers elle. Elle voulait dégager ce qui l’empêchait de se libérer, mais la vielle femme l’en empêcha en la retenant fermement par le bras pour qu’elle écoute ce qu’elle avait à lui dire. - Iowy, murmura-t-elle, prends ce qu’il y a dans ma robe, dépêche-toi, dit-elle avant de tousser. La jeune femme plongea rapidement la main là où elle lui avait indiqué, puis, elle sortit une étoffe du même bleu que celui qu’elle portait autour de la taille. Ses doigts étaient fermement resserrés sur un petit objet qui se trouvait à l’intérieur. Iowy fronça les sourcils en voyant que les deux tissus concordaient parfaitement, comme s’ils avaient fait partie d’une seule et même étoffe. - C’est tout ce que j’ai de ton enfance. Tu étais enveloppée dans un linge blanc, une étoffe précieuse, et cet objet se trouvait à côté de toi. Tu avais été déposée devant ma porte. Je suis désolée de t’avoir menti toutes ces années. Tes parents devaient t’aimer pour t’avoir fait un pareil présent. - Hellawes, commença Iowy en voulant la faire se lever. - Non, non Iowy, mon voyage s’arrête ici. Mais le tien commence à peine, je savais que ce jour arriverai. Tu feras de grande chose petite fille des bois. Mais dépêche-toi, tu dois quitter cet endroit. - Hellawes, je vais te sortir de là. - Non va-t-en, s’il te plaît réalise les dernières volontés d’une femme promise à une mort certaine, réalise ton destin. Allez pars et ne te retourne pas. La vieille femme la regarda encore un instant et ferma la yeux avant de s’endormir dans un sommeil éternel. - Non, soupira la jeune femme. Une larme voyagea sur sa joue et finit sa course sur le corps de Hellawes. Elle déposa un tendre baiser sur son front et se leva. Une partie du mur d’enceinte s’effondra et la jeune femme sortit immédiatement au pas de course. A présent à l’extérieur, elle fourra dans sa poche ce que lui avait donné Hellawes. Puis elle courut se cacher derrière la cascade pour y attendre Oregan. Son cœur battait la chamade, les larmes avaient fini de couler mais son cœur lui brûlait la poitrine comme une marque au fer rouge. Sa gorge était sèche et ses moyens menaçaient de l’abandonner à chaque instant. Elle devait se reprendre, remettre ses idées en place, comprendre ce qu’il venait de se passer. Elle reprenait doucement son souffle, entendant des chevaux lancés au galop. La jeune femme jeta un coup d’œil discret dans la clairière mais elle ne bougea pas d’un cil. Ce n’était pas son ami qui s’y avançait, mais trois chevaux qui empruntèrent le même chemin qu’elle quelques minutes plus tôt. Le dernier s’arrêta et ceux qui lui emboîtaient le pas en firent de même. A quelques mètres de là, Iowy retenait son souffle, le danger était si près qu‘elle était terrorisée. Le premier cavalier descendit de cheval et les deux autres s’exécutèrent immédiatement après. Iowy n’en croyait pas ses yeux. La première personne descendue de cheval était une femme. Elle était d’une élégance extrême et d’une beauté comme elle n’en avait jamais vu. Elle était grande et élancée, ses cheveux longs et sombres comme la nuit, étaient retenus par de fines pinces en argent. Quelques mèches s’en échappaient, ondulant sur son visage. Ses yeux bleus, semblaient lancer des éclairs qui sondaient tout ce qu’elle regardait. Elle portait une longue robe rouge et de fins rubans couleur sang encerclaient ses bras agiles. Elle semblait furieuse, ses lèvres tracées au rouge étaient pincées formant de petites rides sur ses joues. Elle se retourna brusquement, faisant face aux deux hommes. Iowy vit qu’une épée pointue et tranchante en or et argent était attachée dans son dos par une lanière en cuir. Bien qu’elle lui tournait le dos à présent, Iowy pouvait entendre distinctement ses paroles. - Comment avez-vous pu la laisser partir ? dit-elle avec une voix sèche. - Veuillez m’excuser ma reine, dit l’homme qu’Iowy reconnut comme étant celui qui l’avait agressé. Il fit une parfaite révérence. - Non je ne vous excuse pas, vingt ans que nous cherchons cette enfant et ce dans tout le royaume. Aujourd’hui nous l’avons peut être enfin trouvé et vous, vous n’êtes même pas capable de me la capturer. - Madame, il y avait un chevalier avec elle. - Un chevalier ? - Un serviteur du roi Lowen, j’ai reconnu son épée. - Tu t’es trompé, ils sont tous mort, coupa la femme, tous m’entends-tu ? J’y ai veillé personnellement. - Mais ma reine, commença l’autre, peut être que tous n’ont pas été trouvés. Elle fit volte face et s’approcha du soldat. - Insinues-tu que ton roi est un incapable ? - Non ma reine. - Alors, insinues-tu que j’en suis une ? dit -elle avec un sourire narquois. - Non, je ne voulais pas dire cela, je vous assure, répondit le soldat de plus en plus mal-à-l’aise face à son interlocutrice. Doucement, celle-ci leva sa main gauche. L’homme fut pris d’une douleur abominable à la gorge. Il suffoquait. Iowy n’en revenait pas, elle n’avait jamais vu une chose pareille. Cette femme ne le touchait pas. Et pourtant, il se tordait de douleur sous cette emprise invisible. - Saches que tous les chevaliers qui se trouvaient aux services de ce roi lamentable ont été exécuté, un à un. Tous ont subi une mort atroce, il n’en reste aucun, je n’ai pas besoin de te le répéter. Aujourd’hui, il ne manque plus que la fille. Elle morte, il n’y aura plus d’obstacle à notre règne éternel. Cette fille, il me la faut pour que je la tue de mes propres mains. Sans elle, les peuples se plieront à notre pouvoir, quelques uns croient encore en elle, il faut la faire disparaître pour enfin contrôler les mondes. M’as-tu bien compris ? Parce que je ne voudrais pas te le répéter encore une fois. - Oui, bredouilla l’homme d’une faible voix toujours à quelques centimètres au-dessus du sol. - Bien, dit-elle calmement. Elle lâcha enfin son emprise. Le cavalier s’échoua au sol, portant la main à sa gorge meurtrie. Il essaya de reprendre son souffle tant bien que mal. Iowy venait d’assister à une scène incroyable. C’était de la magie, cela ne pouvait être que ça. Cette même magie qui avait quitté ce monde, celle contée aux enfants dans les mythes et les légendes. - Que faisons-nous ici ? continua la femme d’une voix rauque tout en scrutant les environs. - Je l’ai vu quitter le village et partir dans cette direction, ma reine. - Elle n’est pas ici c’est évident, dit-elle avec énervement, je me demande ce que je fais avec des imbéciles comme vous. Prenez de l’eau, se sera déjà une bonne chose, dit-elle en faisant un mouvement vers la cascade. Les deux hommes s’exécutèrent sans un mot. Ils sortirent quatre gourdes en peau de bête qui se trouvaient attachés aux chevaux. Puis, ils se penchèrent pour recueillir l’eau claire. Ils ne se trouvaient qu’à quelques mètres d’Iowy. Celle-ci sursauta lorsqu’une main se posa sur son épaule encore meurtrie. Mais Oregan plaça son autre main sur sa bouche pour éviter un cri de surprise. Après avoir pris ce dont ils avaient besoin, les deux soldats remirent les gourdes dans les sacs et se tournèrent vers la femme qui demeurait immobile. - Donnez-moi l’étoffe. - Tu es là, murmura Iowy, d’où viens-tu ? - Je les ai vu venir, répondit Oregan sur le même ton en désignant d’un coup de tête les trois personnes un peu plus loin, je suis passé par un autre chemin. - Oregan, as-tu vu ? As-tu vu ce qu’elle a fait ? - Oui, je l’ai vu. Iowy, il faut partir au plus vite. J’ai essayé de trouver Katryn mais je n’y suis pas arrivé, je pense qu’elle a réussi à fuir, elle est maline. Et Hellawes ? Où est-elle ? La jeune femme désigna la maison qui brûlait encore doucement. - Oh Iowy, je suis désolé. Elle ne répondit pas et tous deux reportèrent leur attention vers les personnes encore présentes dans la clairière. - Ne perdons plus de temps, lança la femme, rejoignez les autres et continuez vers le Sud. Nous la trouverons, ce n’est qu’une question de temps. Allez, allez, je vous suis. Les deux hommes firent une brève révérence et montèrent à cheval. Elle les regarda partir au galop vers le village, la laissant seule, serrant fermement l’étoffe qui provenait du tissu qui se trouvait encore à la taille d’Iowy. Elle regarda ce qui se trouvait entre ses doigts un instant avant de le lancer dans les airs. - Elle périra Divona, tu ne pourras plus la protéger, elle sera à moi. D’un geste rapide et précis, elle prit son épée dans son dos et trancha l’étoffe qui poursuivit son chemin dans les airs mais qui atterrit sur le sol, en deux morceaux distincts. Un sourire apparut sur son visage alors qu’elle regardait le précieux tissu reposer à terre. Elle remit son épée dans son dos puis, monta sur sa monture qui se cabra avant de partir elle aussi au galop dans la direction qu’avaient pris les deux hommes auparavant. Oregan se leva et tendit la main à son amie. - Viens, nous devons partir. - Où ? demanda Iowy en se levant et prenant la main du jeune homme. Je ne sais pas où nous pouvons aller. - Au Nord, n’importe où. Il ne faut pas rester ici, tu es en danger, c’est toi qu’ils cherchent. - Je ne t’aurai pas cru avant d’entendre les paroles de cette femme. Mais, je ne sais vraiment pas pourquoi ils en auraient après moi. Elle regarda un bref instant l’étoffe qui reposait en deux parties sur l’herbe fraîche. Oregan siffla et Bellera apparut la démarche lente. - Viens. Il fit monter Iowy puis il s’assit derrière elle sur la veille selle en cuir usé. La jeune femme regarda une dernière fois l’endroit où elle avait grandi, à cet instant, elle sut qu’elle n’y reviendrait jamais. Elle pensa à Hellawes, encore étendue dans la maisonnette d’où s’échappaient quelques panaches de fumée noire. La cascade coulait toujours, l’herbe naissante du printemps grandissait, les arbres qu’elle connaissait si bien, dansaient doucement au souffle du vent. - Bellera, je t’en prie. Va, vite, allez, allez. Oregan donna un bref coup de talon sur ses flancs tout en saisissant fermement le harnais. La jument obéit aux ordres et galopa à vive allure, éloignant à chaque seconde les deux jeunes gens de ces lieux connus et aimés. Le soleil, qui avait dominé cette journée, quittait l’horizon. Le ciel s’enflammait. Un rouge ocre l’habilla avant de laisser sa place à la reine de la nuit et à ses milles diamants parant son manteau sombre. Entre les arbres d’une obscure forêt galopait une jument blanche sur laquelle avaient pris place, un jeune homme au regard envoûtant et une jeune femme portant avec elle un fabuleux trésor. Ils ne le savaient pas encore, mais pour eux commençait une incroyable aventure, une aventure qui les marquerait toute leur vie.



Annéa - D'une vie à l'autre Extrait Chapitre 1. Julia Rebert - 2009

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